A l’appel de leurs dirigeants respectifs, les partisans du pouvoir et de l’opposition togolais investissent de nouveau la rue mercredi 20 et jeudi 21 septembre. C’est la conséquence du ratage de l’adoption du projet de loi portant réforme constitutionnelle, dû au boycott par les députés de l’opposition de la séance qui avait lieu mardi à l’Assemblée nationale.
Le parlement togolais a voté hier à une majorité des 2/3 le projet de loi portant réforme constitutionnelle soumis par le gouvernement dans l’optique d’apaiser la crise politique née des revendications de l’opposition qui a exigé ces derniers mois l’institution d’un scrutin à deux tours, le droit de vote pour les togolais de la diaspora et la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux.
Mais ce vote a eu lieu en l’absence des députés de l’opposition qui ont opté de boycotter la séance plénière, accusant le gouvernement de n’avoir posé sur la table des réformes que la question de la limitation des mandats, faisant volontairement abstraction de la question du scrutin à deux tours.
Quoiqu’adoptée par le parlement, cette réforme ne pouvait entrer en vigueur, conformément à la loi fondamentale du pays, dont l’article 144 dispose que « le projet ou la proposition de révision est considéré comme adopté s’il est voté à la majorité des quatre cinquièmes des députés composant l’Assemblée nationale. À défaut de cette majorité, le projet ou la proposition de révision adoptée à la majorité des deux tiers des députés composant l’Assemblée nationale est soumis au référendum ».
L’éventualité que Faure Eyadéma puisse se présenter à une ou deux élections présidentielles après 2020, véritable pomme de discorde
La conséquence de cette situation très agitée est que seul un référendum –qui plus est ne suffira pas à mettre un terme à la crise- permettra d’adopter ou non cette loi.
En effet, l’opposition a toujours insisté, à défaut d’un retour à la constitution de 1992, que la réforme constitutionnelle initiée par le gouvernement début septembre inclue une clause de rétroactivité en ce qui concerne la limitation des mandats, ce qui reviendrait à dire que non seulement Faure Essozimna Gnassingbé ne peut pas être candidat à l’élection présidentielle de 2020, mais aussi à rendre illégal ou inconstitutionnel son actuel mandat (le troisième), qui court depuis 2015.
Or l’héritier du défunt Etienne Gnassingbe Eyadéma ne l’entend pas de cette oreille, lui qui, prenant appui sur ce principe de droit selon lequel la loi n’est pas rétroactive, espère pouvoir, même à la fin de son mandat d’ici à trois ans, postuler encore une, voire deux fois, à la magistrature suprême de son pays.
Conjurer l’escroquerie politico-intellectuelle d’un référendum biaisé
Il faut relever qu’une consultation référendaire ne consistant qu’à donner la possibilité aux électeurs de dire si oui ou non ils approuvent une option ou un projet constitutionnel, il ne sortira rien de satisfaisant pour l’opposition du référendum annoncé pour pallier l’incapacité constitutionnelle de l’Assemblée togolaise à adouber le projet de loi du régime : si le « oui » l’emporte, cela signifiera que Faure Eyadéma peut se présenter aux élections de 2020 et 2025, avec la possibilité qu’il aura, au cours de l’un de ces deux mandats de remodifier la Constitution pour supprimer la clause de limitation des mandats, et, pourquoi pas, introduire dans la loi d’autres incongruités antidémocratiques lui permettant de perpétuer son règne ; si c’est le non en revanche qui prend le dessus, cela donnerait lieu à deux interprétations : soit la réforme n’est pas acceptée par le peuple parce qu’elle ne répond pas à ses attentes de démocratie, soit parce que les Togolais sont satisfaits de l’actuelle constitution qui permet à un président de la République en exercice de solliciter autant de mandats qu’il le désire, interdit le vote des Togolais de la diaspora et ne prévoit qu’un seul tour de scrutin facilement manipulable par le régime en place qui tient les leviers de son organisation.
Or il est on ne peut plus évident que le régime Eyadéma ne peut interpréter le résultat que dans un sens qui lui est favorable. Résultat des courses, référendum ou pas, c’est du pareil au même.
Une entourloupe décelée par l’opposition qui lui demande carrément de mettre fin dès maintenant à son mandat actuel, et d’organiser une élection présidentielle anticipée dont il sera le garant, mais à laquelle il ne participera pas.
Voilà donc la pomme de discorde qui pousse les partisans des deux camps antagonistes : le peuple togolais, majoritaire mais n’ayant pas les moyens légaux -ou plutôt létaux- d’obliger le régime à entendre raison d’une part, et de l’autre le pouvoir et ses partisans, minoritaires, mais disposant de l’exclusivité des moyens militaires très dissuasifs (Lors des manifestations des 19 août, 6 et 7 septembre derniers, les forces armées et de police à la solde du régime ont tué 11 personnes fait des dizaines de blessés et la justice a condamné à de lourdes peines -allant jusqu’à cinq ans- des dizaines d’autres) à se crêper le chignon dans la rue une fois de plus.
Le clergé catholique soutient le peuple opposé au régime dictatorial
Cette fois-ci l’opposition bénéficie du soutien de l’église catholique togolaise, généralement réputée aphone, voire proche du pouvoir.
Même si celle-ci a appelé les deux parties à la modération, les invitant même à ne pas organiser leurs manifestations les mêmes jours, et insistant surtout pour que les uns et les autres puissent faire preuve de compréhension mutuelle « …afin que les réformes soient faites effectivement selon la Constitution de 1992 pour décrisper la situation et qu’on puisse passer à autre chose », elle, a par certains aspects de ses déclarations, pris fait et cause pour le peuple togolais fédéré par l’opposition.
C’est dans cet ordre d’idées que les évêques togolais ont organisé dimanche, dans toutes les cathédrales du pays des séances cultuelles qu’ils ont qualifiées de prières « de supplication en faveur de la paix, plus précisément en faveur des réformes institutionnelles et constitutionnelles », dont le but était « d’implorer la lumière de l’Esprit Saint sur les plus hautes autorités du pays afin qu’elles opèrent urgemment les réformes demandées par le peuple conformément à la Constitution de 1992 ».
Ndam Njoya Nzoméné
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