Le succès de votre livre Côte d’ivoire, le coup d’etat vous a-t-il surpris ?
Oui, J’ai été surpris. Car je ne mesurais pas à quel point les Ivoiriens avaient souffert de l’injustice et du mensonge médiatique à propos des événements de 2011. Je dois dire que j’ai pris la mesure de ce que les peuples peuvent endurer lorsqu’ils se sentent floués par les décisions arbitraires de ce qui est convenu d’appeler la Communauté internationale.
La Cpi estime que les preuves contre le Président Laurent Gbagbo sont insuffisantes. Quelle est votre lecture d’une telle décision ?
Ce n’est pas que les preuves sont insuffisantes. Il n’y en a pas!
Pensez-vous que Fatou Bensouda, la procureure de la Cpi pourra trouver de nouvelles preuves contre le Président Laurent Gbagbo ?
Elle a hérité d’un sale dossier. Mais elle ne peut pas désavouer son prédécesseur, Luis Moreno Ocampo. Elle est prisonnière de la mission allouée au procureur dans cette affaire contre le Prési – dent Laurent Gbagbo. Il est d’ail – leurs surprenant de parler de «preuves insuffisantes» alors que tout le monde avait entendu qu’il y en avait beaucoup.
Pourtant, le régime d’Abidjan annonce déjà de nouvelles preuves…
Le régime d’Abidjan n’est plus crédible sur ce dossier. Il a annoncé au monde entier que le Président Laurent Gbagbo était coupable. Et l’a déporté à La Haye affirmant détenir des preuves accablantes contre lui et son régime. Où sont passées ces preuves ? J’ai vu la construction de l’acte d’accusation contre le Président Laurent Gbagbo au mois de mars 2011, c’est-à-dire avant son arrestation le 11 avril 2011. J’ai compris où l’on voulait en venir. Et j’avais avisé en temps et en heure, les conseils du Président Laurent Gbagbo. Je ne sais pas s’ils ont fait leur travail, mais je leur ai communiqué l’acte d’accusation en ma possession alors que le Président Laurent Gbagbo était encore au pouvoir. Il n’y avait aucun élément sérieux dans ce document préparé par deux avocats parisiens d’Alassane Ouattara. J’ai dit à plusieurs reprises que le dossier du Président Laurent Gbagbo était vide et on en a aujourd’hui la démonstration.
A votre avis, pourquoi le régime actuel qui accuse le Président Laurent Gbagbo de crime contre l’humanité n’a pas fait autopsier les corps des supposées victimes de Gbagbo ?
Parce ce qu’il ne s’agit pas effectivement des victimes du Président Laurent Gbagbo. C’est aussi simple que cela. Imaginez que ce fut le cas, des experts légistes auraient été désignés et le procureur se serait fait un plaisir de documenter son acte d’accusation.
La Cpi refuse de lui accorder la liberté provisoire, sous prétexte qu’il est populaire…
Ecoutez, l’attitude de la Cpi était prévisible. Un dossier bâclé et mal ficelé par Luis Moreno Ocampo a été remis à Fatou Bensouda. Une Communauté internationale qui ne veut pas perdre la face, une Cpi qui a fait du cas Gbagbo, une vitrine de son action politico-judiciaire. Et au bout du compte, un régime qui a menti sur de prétendus crimes posté – lectoraux de Gbagbo. Tout ce petit monde est coincé et ne peut pas se dédire. Résultat: la coalition des menteurs est bien embarrassée et joue la montre. C’est l’image et la crédibilité de toutes ces institutions qui sont fortement écornées.
Quelle est l’issue que vous entrevoyez pour ce procès ?
Deux solutions : ou bien tout le monde admet que l’éviction du Président Laurent Gbagbo était purement politique et on le libère. Ou alors, les uns et les autres cherchent une sortie honorable en refusant de reconnaître son innocence. Dans ce cas, ils vont gagner du temps et faire traîner le procès en essayant d’échafauder autre chose. Dans tous les cas, la Cpi doit avouer son échec dans ce dossier. Le Président Laurent Gbagbo n’a rien à faire dans cette Cour, ni en prison. Ils en font un martyr de la démocratie en Afrique…Le Président Laurent Gbagbo doit donc être libéré, car ils n’ont rien contre lui. C’est clair! De toutes les façons, c’est le seul moyen de prouver qu’il n’est pas un prisonnier politique et que la Cpi n’est pas un instrument au service de la Communauté internationale.
De Korhogo à la Cpi, comment trouvez-vous aujourd’hui l’homme Gbagbo ?
Je crois qu’il est très digne et combatif. Rien ne lui a été épargné: brutalité contre son fils, sa femme, lui-même, ses collaborateurs, les injures, l’humiliation, etc. Aujourd’hui, ses détracteurs sont étrangement silencieux. Ils n’ont peut-être rien à dire ou ils se sentent mal à l’aise.
Quel est votre regard sur le régime Ouattara ?
Je crois que l’ambassadeur de France, feu Renaud Vignal est celui qui avait le mieux résumé sa personnalité. S’agissant du régime actuel à Abidjan, je crois qu’il se passe de commentaires. Les faits parlent d’eux-mêmes.
Alassane Ouattara se promet de faire de la Côte d’ivoire, un pays émergent en 2020. Y a-t-il, selon vous, des actes forts qui le font penser ?
Il y a fort longtemps je crois, probablement sous Houphouët-Boigny, que la Côte d’Ivoire a émergé. Mais, j’ai l’impression qu’elle a coulée depuis et qu’elle est plutôt en immersion dans les eaux troubles.
Comment la réconciliation pourra-t- elle se faire en Côte d’ivoire ?
En rendant aux Ivoiriens, le respect qu’ils méritent. Et leur droit élémentaire de choisir leurs propres dirigeants. En traitant tous les crimes qui ont été commis dans ce pays de façon équitable et impartiale entre 2002 et 2011 et même après. En rendant aux Ivoiriens leurs terres et leurs biens spoliés ou confisqués.
Est-elle possible sans le Président Laurent Gbagbo ?
Elle sera difficile sans lui!
Dans le camp Ouattara, on dit que libérer le Président Laurent Gbagbo, «c’est brûler la Côte d’ivoire»…
On a déjà brûlé la Côte d’Ivoire. Et il me semble que ceux qui l’ont fait n’ont pas encore rendu les comptes au peuple ivoi – rien. Généralement, ceux qui crient aux loups savent toujours ce qui se passe dans la bergerie!
Pensez-vous qu’un jour, Soro et ses ex-chefs de guerre répondront de leurs actes devant la Cpi, comme le souhaitent certaines Ong de droits de l’Homme ?
C’est une question qui mérite d’être posée à la Cpi et à la procureure Fatou Bensouda. Il semble que leurs enquêtes sont lentes et difficiles de ce côté-là.
A Abidjan, le régime a récemment organisé des marches de supposées victimes du Président Laurent Gbagbo pour selon lui, interpeller la Cpi. Quel est votre avis ?
Apparemment, les marches sont plus faciles à organiser que les preuves à rassembler. Ces dernières me semblent plus importantes que les marches au stade actuel du dossier.
Interview réalisée par Guehi Brence
gbrence02063193@yahoo.fr
Le Temps N° 2967 du jeudi 1er août 2013