« Lorsque les haines ont éclaté, les réconciliations sont fausses» Denis DIDEROT, extrait du Principes de politique des souverains.
La grande question de cette Côte d’Ivoire de l’immédiat après-crise, c’est la réconciliation, le rétablissement et la consolidation des institutions et des libertés politiques. Malgré son très sincère et vif désir d’aller à la réconciliation, le peuple ivoirien ne comprend pas les desseins et la méthode des gouvernants actuels. Ce qu’il est donné de constater c’est que la réconciliation est en panne sèche. Dans les lignes qui suivent, nous revenons sur cette brûlante question, en essayant de comprendre les raisons pour lesquelles le processus de réconciliation est grippé.
1. La Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) est née avec de sérieux handicaps
En premier lieu, la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) est née avec un handicap juridique. En effet, la CDVR a été officiellement instaurée en septembre 2011 et c’est l’ordonnance n°2011 -167 du 13 JUILLET 2011 qui spécifie les attributions, organisation et fonctionnement de la CDVR. Mais cette institution semble toutefois s’éloigner de son inspiratrice quant à sa mise en place. Il est connu que la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) sud-africaine provient d’un texte voté par le parlement, précédé d’un débat public ayant pris en compte la volonté des organisations de la société civile, et pas seulement d’une ordonnance présidentielle. Or en Côte d’Ivoire, la CDVR n’a pas eu l’onction du peuple mais d’un homme : le Président Alassane OUATTARA. Or, la Constitution organise la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Elaborée par Locke (1632-1704) et Montesquieu (1689-1755), la théorie de la séparation des pouvoirs vise à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines. Un régime démocratique est organisé selon une séparation stricte des trois pouvoirs, tempérée par l’existence de moyens de contrôle et d’action réciproques conçus conformément à la doctrine des « checks and balances » (l’existence de procédures de contrôles et de contrepoids). Dans ce cadre, la loi doit être conforme à la Constitution, les décrets conformes à la loi, les arrêtés conformes aux décrets et les circulaires conformes aux arrêtés. Signalons que la « loi », c’est le texte pris par le pouvoir législatif (Assemblée nationale et le Sénat).
Contrairement au cas Sud-Africain, en Côte d’Ivoire, c’est une ordonnance qui donne naissance à la CDVR. Quand on sait qu’une ordonnance, c’est un texte qui est pris par le pouvoir exécutif dans le domaine du pouvoir législatif pour aller vite, le Président de la CDVR pouvait par le truchement de l’Assemblée nationale, transformer cette ordonnance en loi, pour travailler librement avec l’onction du peuple. Le Président de la CDVR a refusé de se soumettre à cette exigence démocratique.
En second lieu, la CDVR n’est pas indépendante. Pourtant, selon l’article 1 de l’ordonnance n°2011 -167 du 13 JUILLET 2011, il est écrit : II est institué, sous l`autorité du Président de la République, une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, en abrégé la CDVR.
On voit bien que la CDVR est dépendante du Président de la république même si selon l’article 2 : La CDVR est une Autorité Administrative Indépendante dotée de la personnalité juridique et de l`autonomie financière.
Finalement, la CDVR n’est qu’un mandataire et le Président Alassane OUATTARA, le mandant. Lorsqu’on sait qu’il existe une stricte hiérarchie entre le mandant et son mandataire, on peut s’interroger sur les marges de manœuvre de la CDVR.
En troisième lieu, le Président de la CDVR n’est pas neutre dans la crise ivoirienne. Le président de la CDVR est un acteur de la crise tout comme son mandant. C’est une erreur de penser que la crise ivoirienne est ethnique, religieuse : elle est fondamentalement politique. Ce sont les hommes politiques qui instrumentalisent les ethnies, les religions pour asseoir leurs bases électorales. Le Président de la CDVR, M. Konan BANNY est un haut cadre du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Président Alassane OUATTARA, le Président du Rassemblement Des Républicains (RDR), tous membres du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP). Et pourtant la crise opposait deux camps : le camp RHDP et le camp de la majorité présidentielle (LMP). Le mandataire et son mandant sont des acteurs de la crise en Côte d’Ivoire, du coup, ils sont mal placés pour réconcilier les ivoiriens. Selon l’article 5 de l’ordonnance n°2011 -167 du 13 JUILLET 2011, la CDVR est chargée de rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les événements sociopolitiques nationaux passés et récents. Peut-on chercher « la vérité et situer les responsabilités » sur ce qui s’est passé dans notre pays sans interroger M.BANNY et le Président Alassane OUATTARA ?
En quatrième lieu, la réconciliation prend du temps. Le mandat de la CDVR est de deux (2) ans. Et pourtant, la réconciliation ne se décrète pas, c’est un processus qui dure dans le temps. Seules les parties à réconcilier ont le pouvoir d’abréger le processus si elles mettent au premier plan, l’intérêt général. Aujourd’hui, en Afrique du Sud, selon le Baromètre de la réconciliation 2011, une enquête d’opinion réalisée annuellement depuis 2005 par l’Institut pour la justice et la réconciliation ,59% des sondés pensent que les Sud-Africains ont fait des progrès dans la réconciliation depuis la fin de l’apartheid. La période de deux ans révèle la « politisation » du processus de réconciliation.
En quatrième lieu, la réconciliation a besoin d’argent. En dehors des 2 milliards alloués par l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), en 2011, la CDVR ne dispose toujours pas d’un sérieux budget de fonctionnement depuis son installation. Selon La Lettre du continent, dans son numéro 638 de juin 2012, ce manque de moyens irrite fortement l’administration américaine, qui voit là certainement le manque de volonté des nouvelles autorités à aller à la réconciliation. Lorsqu’on commissionne quelqu’un, on lui donne des provisions. Si donc la CDVR n’a pas les moyens pour le processus de réconciliation, c’est peut-être parce que l’exécutif minimise les retombées d’une Côte d’Ivoire apaisée et unie. Il suffit pourtant que le Président Alassane OUATTARA diminue ses voyages, empêche les surfacturations de son administration, pour dégager les ressources nécessaires et suffisantes pour la réconciliation.
2. Les hommes politiques ont la clé de la réconciliation
A travers sa composition, la CDVR essaie de refléter la société ivoirienne dans son ensemble. Elle comprend un représentant de chacune des grandes régions de la Côte d’Ivoire, mais aussi de la diaspora, des religieux et de la chefferie traditionnelle. Cette démarche n’est pas totalement participative car elle ne permet pas aux populations de s’intéresser en amont au processus de réconciliation. En plus, la CDVR a écarté jusque-là ceux qui ont la clé de la réconciliation : les hommes politiques.
Les partis politiques et les organisations de la société civile, invités par le Premier ministre à un large dialogue politique à Grand-Bassam, étaient parvenus à un accord sur le code électoral, sur le découpage des circonscriptions et sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles. Mais aucune suite n’a été donnée à ce conclave comme si la réconciliation était le cadet des soucis des nouvelles autorités ivoiriennes.
Le dialogue politique entre le pouvoir et son opposition est nécessaire pour éviter à la Côte d’Ivoire le pire. Eu égard à la pauvreté qui est élevée dans le pays, il est nécessaire de prendre en compte le dialogue politique et la réconciliation nationale, dans une perspective de développement. C’est pourquoi, le dialogue entre le pouvoir et l’opposition reste un impératif pour l’avenir de la Côte d’Ivoire car le pays a un urgent besoin de stabilité.
La CDVR gagnerait à faire asseoir tous les hommes politiques pour un dialogue franc et constructif, surtout les deux partis qui se détestent viscéralement, c’est-à-dire le FPI et le RDR. De ce point de vue, il semble illusoire de penser comme le RDR, qui estime que la réconciliation des ivoiriens peut se faire sans le Front populaire ivoirien.
Pourquoi la CDVR ne redouble pas d’effort pour consacrer à l’opposition un statut formalisé et un financement ? Pourquoi minimiser le volet politique de la réconciliation ?
Certes le président de la CDVR, M. BANNY a mis en place le 4 septembre 2012, une plate-forme d’échanges et de dialogue avec les partis politiques ainsi que les faîtières d’ONG pour recueillir leurs avis et aller résolument vers la paix mais ces efforts ne sont pas affermis.
La crise en Côte d’ivoire est politique, c’est donc du côté des politiciens qu’il faut trouver les solutions. Il faut donc associer les hommes politiques au processus de réconciliation nationale car la réconciliation nationale ne se fera pas sans toutes les filles et les fils de la Côte d’Ivoire.
Conclusion
Cette réflexion se proposait d’inviter la CDVR à inclure davantage les hommes politiques dans le processus de réconciliation. Pour autant, cette réflexion ne perd pas de vue les autres clés. L’interdépendance des questions sociétales commande une remise à plat de tous les problèmes. Par exemple, il faut trouver un consensus sur les questions de justice, de sécurité et de refonte de l’armée, de règlement des problèmes fonciers, de politique d’immigration et de naturalisation, de relance de l’emploi. Il faudra à un moment donné que la justice s’applique à tous et non à certains car sans remettre en cause la culpabilité des personnalités politiques et militaires proches de Gbagbo qui sont aux arrêts, il est possible de s’interroger sur la solidité des bases de la Réconciliation lorsque dans le même temps les principaux responsables politiques et militaires des FRCI, dont certains frappés officiellement par des sanctions internationales, sont nommés à de hautes fonctions au sein de la République.
Aujourd’hui tout semble confirmer qu’il y a des esprits dont le but caché est de torpiller la réconciliation et d’autres dont la démagogie n’a d’autre raison que d’entraîner la Côte d’Ivoire vers le chaos. Mais nous devons tous avoir en esprit cette mise en garde d’un sage à son petit-fils : « Tu dois faire davantage ; tu dois faire mieux parce que tu n’es pas seul. Tu as ton quartier et ton village ; il faut que ton pays sache qu’il peut compter sur toi, quoi qu’il t’en coûte moralement, matériellement et politiquement. Tu dois essayer de comprendre ton voisin quel que soit son comportement ; il reste ton frère parce que la nature en a fait ton frère ».
PRAO YAO SERAPHIN, Délégué national au système monétaire et financier à LIDER