Le cas de Michel Gbagbo, fils de l’ex-président, interdit de voyage à Paris où il était pourtant convoqué par la justice française, illustre la mainmise du pouvoir sur les institutions.
Michel Gbagbo, fils de l’ancien président de Côte d’Ivoire, aurait dû prendre l’avion pour Paris la semaine dernière, afin de répondre à une convocation de la justice française. Détenteur de la double nationalité franco-ivoirienne, il devait être entendu le 5 novembre par la juge d’instruction Sabine Kheris, dans le cadre d’une plainte déposée en juin 2012 contre l’ex-premier ministre Guillaume Soro pour enlèvement, séquestration ou encore traitements inhumains et dégradants. Officiellement inculpé en Côte d’Ivoire en août 2011 après plusieurs mois de détention arbitraire, Michel Gbagbo avait été sévèrement battu entre son arrestation, le 11 avril 2011, au palais présidentiel occupé par son père, jusqu’à son transfert à l’hôtel du Golf, quartier général des forces pro-Ouattara. Par la suite, des vidéos humiliantes, filmées par ses geôliers, avaient été diffusées sur les réseaux sociaux. « Le dossier monté par la justice ivoirienne, est totalement vide, affirme son avocate, Habiba Touré : Il n’y a aucun acte de procédure ou de témoignage contre lui, et rien ne l’empêche officiellement de quitter le territoire ivoirien. C’est le ministre de l’Intérieur qui l’a appelé sur son portable pour lui intimer l’ordre de rester à Abidjan. Évidemment, mon client est terrorisé »
Au-delà du cas de Michel Gbagbo, c’est bien la justice ivoirienne, démembrée pendant la crise postélectorale de 2010-2011, qui peine à convaincre de sa neutralité, malgré les engagements pris en ce sens par le nouveau maître du pays, Alassane Ouattara. Une situation dénoncée par de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, mais qui fait l’objet d’un surprenant silence parmi les dirigeants politiques français qui, droite et gauche confondues, avaient pris fait et cause pour l’actuel président. « Concrètement, il y a une seule mise en examen dans le camp pro-Ouattara aujourd’hui. Inévitablement, cela donne l’impression d’un deux poids, deux mesures », regrettait, le 26 octobre, Patrick Baudouin, président de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh).
Un malaise qui traverse également les couloirs de la Cour pénale internationale (Cpi), où est actuellement détenu Laurent Gbagbo, accusé de « crimes contre l’humanité ». Au mois de juin, les juges de la Cpi avaient infligé un véritable camouflet à la procureure Fatou Bensouda, en lui intimant de revoir un dossier qualifié de «peu convaincant». Les partisans de Gbagbo en venaient à rêver d’une libération provisoire, jusqu’à ce que, à la fin du mois d’octobre, la chambre d’appel ne décide de le maintenir en prison. En revanche, les autorités ivoiriennes persistent à refuser le transfert à La Haye de l’ex-première dame Simone Gbagbo et de l’ancien ministre de la Jeunesse Charles Blé Goudé, au motif que la justice ivoirienne serait désormais en capacité d’assurer équitablement leur procès, ce qui ne convainc personne. Quant au maintien en détention d’un Laurent Gbagbo bien décidé à revenir dans le jeu politique ivoirien, il ne peut que satisfaire l’actuel président Alassane Ouattara, qui sera candidat à sa propre succession en 2015.
Marc de Miramon
In l’Humanité du 6-11-2013