Le 11 avril 2011, l’intervention de l’armée française donne une issue au conflit partisan et laisse Abidjan aux mains des Frci, qui se partagent du même coup l’ensemble du pays, qui passe sous administration militaire. Ouattara prend les choses en mains et promet d’organiser très rapidement la sécurité pour tous et de mettre fin aux pillages, aux exactions et aux violences.
En juin 2011, il met en place une commission nationale d’enquête qui dépose son rapport en août 2012 et conclut que les forces partisanes se répartissaient proportionnellement les crimes commis. Mais ce rapport, jusqu’à présent, n’a servi à rien d’autre qu’à accentuer les accusations mutuelles sans qu’il n’y ait eu de sanctions contre les auteurs Fafn et pro Ouattara de ces crimes. Bien au contraire, après la publication du rapport, des auteurs ont été promus à de hauts postes de responsabilité au sein de l’Etat et défilent officiellement devant les hautes personnalités de l’Etat et leurs invités. Ils sont devenus eux-mêmes de hautes personnalités et sont reçus et traités avec les honneurs par le sommet de l’Etat et une partie du corps diplomatique. Ouattara s’installe dans l’impunité et la criminalisation de l’Etat. La question est : Pourquoi cette impunité ? La réponse est simple : Parce que Ouattara utilise les coupables présumés comme instrument de sécurisation de son pouvoir. Question : Pourquoi cette criminalisation civile et militaire de l’Etat ? Réponse : Parce que les forces partisanes, qui lui assurent sa sécurité, organisent la déliquescence de l’Etat. Comment tout cela se présente-t-il ? Quelle est l’architecture de cette permissivité organisée ?
L’architecture mise en place par Ouattara est agencée en trois niveaux qui interagissent et rassurent les membres de son clan.
Le premier niveau, celui de la décision, est constitué par un groupe fortement armé et entraîné, qui constitue la garde prétorienne de Ouattara. Dans ce groupe se trouvent les forces spéciales, dont les plus en vue sont le centre de coordination des décisions opérationnelles (Ccdo), la garde républicaine et autres «forces spéciales». Ce premier niveau est chargé de la sécurité du président et des institutions de la République. Dans ce cercle se trouvent les principaux com-zones et les hommes forts des Fafn et ce sont eux qui font le travail de la police nationale, de la gendarmerie nationale, du renseignement et de l’armée régulière dans Abidjan, sa banlieue et dans les zones qui ont un intérêt pour le pouvoir. Ce premier niveau peut regrouper jusqu’à 4.000 hommes et femmes. Les pratiques des membres de ce premier niveau sont très souvent à la limite du légal et du respect des droits humains, mais rien ne peut inquiéter ses principaux animateurs parce que le second niveau, qui devrait les sanctionner, ferme les yeux sur des pratiques et dérives pourtant connues de tous.
Le second niveau a deux composantes : l’Onuci d’abord et la force Licorne ensuite. Les forces de l’Onuci, tout en se présentant comme forces impartiales, ont pour mission explicite de «protéger les civils et soutenir le gouvernement dans le désarmement, la démobilisation, la réintégration et la réforme du secteur de la sécurité». L’Onuci, par cette mission explicite qui est non pas de «réaliser ou conduire» le désarmement et la réforme du secteur de la sécurité mais simplement de «soutenir» le gouvernement dans ce que celui-ci voudra bien faire, assure implicitement la propre impuissance de son mandat et donne une légitimation aux pratiques permissives, à l’impunité et à la criminalisation de l’Etat par le régime Ouattara. C’est ainsi que, par exemple, alors que le com-zone Fofié Kouakou est sous sanctions onusiennes, il peut bénéficier de promotions militaires et même défiler, lors de la fête de l’indépendance, en présence du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et des ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité sans qu’à New York cela ne gêne. Avec le mandat qui est le sien – «soutenir» Ouattara – l’Onuci observe, impuissante, le refus de ce dernier de procéder au désarmement tel que prescrit par les différentes résolutions onusiennes prises tout au long de la crise ivoirienne, notamment la 2062 du 26 juillet 2012 et la 2112 du 30 juillet 2013. Elle regarde impuissante le manque de volonté du gouvernement à démobiliser ses différentes troupes de miliciens. Elle assiste de façon impuissante au manque de volonté sinon au refus du gouvernement à réformer le secteur de la sécurité. Pour preuve, ni l’assemblée nationale, ni l’opinion ne savent encore quel est le schéma de réforme envisagé par Ouattara concernant le secteur de la sécurité, au point de désespérer bien des députés de la commission de défense qui y voient déjà une réforme bâclée ne pouvant manquer d’avoir des conséquences regrettables sur l’ensemble du pays, son économie et sa tranquillité. Y a-t-il un projet de réforme du secteur de la sécurité (Rss) du côté gouvernement ? Personne ne peut le dire. Y a-t-il une politique de défense du côté du gouvernement ? Personne ne le sait et personne n’a les moyens d’obliger le gouvernement à travailler sur la question ou bien même de divulguer le travail qui a déjà été réalisé. Et l’Onuci ne pouvant rien faire pour accélérer le processus, Ouattara profite de la légitimation qui lui est offerte pour faire trainer les choses.
L’autre animateur de ce second niveau est le bataillon Licorne qui, lui aussi, offre implicitement une force de dissuasion à Ouattara. La principale mission du bataillon de l’armée française fort de 450 militaires au moins et basé à Abidjan est de «soutenir» l’Onuci. Cette force militaire de combat et de réaction rapide dotée d’armes de guerre de pointe pour opérer aussi bien dans les eaux, les airs que sur terre, n’est là que pour soutenir la force onusienne, qui elle-même n’est là que pour soutenir les Frci, qui elles-mêmes ne sont là que pour soutenir Ouattara. Dès lors, de par la définition de leurs mandats respectifs, les forces onusiennes et françaises apportent officiellement leur soutien au déviationnisme de Ouattara, à son impunité, à ses actions de criminalisation de l’Etat et sécurisent et légitiment tous ses actes.
Le troisième niveau du système de défense et de sécurité de Ouattara est constitué par un gros bloc, dont les principaux animateurs peuvent être classés en trois groupes. D’abord, il y a les miliciens dozos estimés aujourd’hui à près de 60.000 personnels. Il y a les ex-combattants Fn et Fafn auxquels il faut ajouter tous les parents et amis des com-zones et des chefs de bandes que ceux-ci ont fait inscrire et recruter pour profiter, en bons opportunistes, de la redistribution des prébendes après la victoire de Ouattara. Ils sont estimés à 64.000 environ. Enfin, il y a les forces institutionnelles auxquelles l’on a donné un statut officiel de Frci, de gendarmes, de policiers et que l’on estime aujourd’hui à environ 30.000 personnes. Parmi ces dernières, seuls les militaires Frci ex Fafn sont en armes, pendant que les autre ex Fds désarmés, sont répartis dans les quartiers et sont sans autorité, comparés aux forces effectivement armées. Cette troisième sphère compte donc au total 150.000 personnes, chargées de faire le maillage du terrain et de tenir et surveiller les partisans qui leur sont opposés avec l’autorité que leur donne leur victoire du 11 avril 2011.
L’instrumentalisation par Ouattara des forces armées est donc évidente à travers ces trois niveaux : la garde prétorienne, sécurisée et légitimée par les forces internationales et dont les bras armés et les troupes sont disséminés partout à travers le pays. Le tout se présente comme une pyramide avec à la base le niveau 3, au milieu le niveau 2 et au sommet le niveau 1. Cette forme pyramidale du système de défense et de sécurité de Ouattara fait croire et dire souvent que le Dr Ouattara est victime de la destinée de Faust, de l’histoire de ce docteur de la légende qui, depuis son jeune âge, rêve de devenir quelqu’un d’important et qui devant l’échec de toutes ses tentatives, s’en va pactiser avec le diable, qui lui garantit le succès de ses ambitions contre le prix à payer: lui livrer son âme. Dans deux pièces célèbres, Johann Wolfgang von Goethe présente un Faust qui ne donnera son âme au diable que le jour où il reconnaîtra avoir atteint le niveau désiré de satisfaction. Etre satisfait et perdre son âme ? Non, répondra Faust, qui ira de surenchère en surenchère, jamais satisfait. Et pourtant à la fin, il faudra bien payer le prix à Méphistophélès, n’est-ce pas?
Par Mamadou Koulibaly
Président de LIDER – Liberté et Démocratie pour la République