Comi Toulabor : « Faure dispose de beaucoup d’argent d’État pour corrompre ceux parmi les opposants supposés être… »

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L’électeur togolais ira peut-être (je dis bien peut-être) aux urnes en avril prochain, mais pour valider officiellement des résultats déjà actés officieusement sur les tablettes de Gilbert Bawara

Lynx.info : Le parti Unir (pouvoir) conditionne les réformes par la possibilité pour Faure Gnassingbé de briguer deux autres mandats…

Comi Toulabor : Cette nouvelle condition que pose Faure Gnassingbe est anachronique, sinon de mauvaise foi totale. Ne serait-ce que par rapport à l’Accord de politique général (APG) du 20 août 2006 signé par lui-même, lequel accord était adossé aux 22 engagements souscrits par son père le 14 avril 2004 sous l’égide de l’Union européenne. Faut-il évoquer aussi les conclusions de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) qu’il a lui-même instaurée en 2009 où Mgr Barrigah s’est fait rouler dans la farine? Rien ne garantit qu’au terme de deux mandats supplémentaires, donc en 2025, il s’en irait de lui-même. Pendant bientôt 50 ans, le pouvoir RPT/UNIR a appris à mentir au monde et s’est obstiné à se mentir contre toute évidence au point qu’il est incapable de démêler le vrai du faux.

Mr Toulabor, le fait que tous les chefs de partis politiques se signalent pour les élections à venir veut aussi dire Adieu aux réformes ? Comment expliquez-vous cet aveu d’impuissance face au pouvoir de Faure Gnassingbé ?

C’est par les élections, surtout présidentielles plus que législatives, que les leaders de parti accèdent à l’existence. On a vu qu’ils ont mis la charrue avant le bœuf. Il faut se rappeler la pièce de théâtre qui se jouait en mode de synchronie politique au Togo et au Burkina Faso à la fin de l’année dernière. Le 31 octobre 2014 quand les Burkinabé chassaient Blaise Compaoré qui voulait attenter pour la nième fois à la limitation du nombre de mandat présidentiel, le même jour au Togo la fumée blanche du conclave d’une partie de l’opposition sortait Jean-Pierre Fabre comme « le candidat unique de l’opposition togolaise pour la présidentielle 2015 ». L’immense mouvement populaire chez le voisin impulsé depuis des mois n’avait pas suscité la moindre réaction au Togo. C’est seulement et uniquement seulement à la chute du dictateur burkinabé, dans leur stratégie d’improvisation perpétuelle, que des leaders de l’opposition découvrirent subitement qu’il fallait passer par la case des réformes. On peut parier que si Blaise Compaoré était resté au pouvoir, la demande de réformes ne leur viendrait nullement à l’esprit. A cet égard, l’opposition et le pouvoir sont sur la même longueur d’onde. Il n’y a pas d’aveu d’impuissance. Il y a pire et plus étonnant encore à mes yeux : l’opposition ne veut pas absolument pas gêner ou bousculer le pouvoir sur des dossiers essentiels tels que justement les réformes. Parce que si d’aventure elle parvenait au pouvoir, la constitution modifiée de 2002 l’arrangerait bien aussi. Le pouvoir et l’opposition (ou une portion de celle-ci) sont perpétuellement au bal des hypocrites.

Pour Me Yaovi Agboyibor, l’affrontement verbal pratiqué par les opposants est tout d’abord « stérile » dans la mesure où les intéressés ne se donnent pas les « moyens physiques qu’il faut pour mettre fin au système…

Pour une fois, il faut être d’accord avec Bélier-noir qui n’est pas blanc non plus. Personnellement, j’ai toujours été surpris par les fanfaronnades et les ultimatums lancés au pouvoir par ce qu’on a l’habitude d’appeler « l’opposition radicale ». Cette approche de la lutte et de la contestation remonte à la Conférence nationale où on a pensé que vociférer et insulter suffisait à éjecter Eyadéma du pouvoir auquel il est fermement accroché. L’enfant indocile doit franchement rigoler de son papa manchot qui ne cesse de le menacer de chicotte. L’opposition manchote (elle n’a ni arme ni argent !) devrait trouver des moyens plus originaux, plus ingénieux de lutte pour l’alternance afin de (com)penser autrement le déséquilibre des rapports de force. Elle a choisi la voie paresseuse comme si elle avait déjà conquis la toison d’or. L’opposition togolaise est une magicienne : elle croit en la toute-puissance de ses incantations et de ses fanfaronnades comme modalité d’obtenir l’alternance.

Pour beaucoup d’analystes, Faure Gnassingbé n’a sincèrement aucune opposition devant lui. Comment expliquez-vous la facilité avec laquelle il est arrivé à dompter pratiquement tous ses opposants ?

Si on ne veut pas tourner indéfiniment sur le rond-point : l’argent ! Faure dispose de beaucoup d’argent d’État pour corrompre ceux parmi les opposants supposés être les « principaux » ou « importants » quand, à la veille d’un scrutin, il n’en suscite pas lui-même. On connaît comment Gilchrist Olympio a fini, alléché par l’argent. Rappelez-vous qu’avant d’y participer à la dernière minute, le « principal » parti de l’opposition boycottait les législatives de juillet 2012. Ce retournement de veste aurait été payé à hauteur de 200 millions de francs CFA, pendant que les Togolais en sont encore à s’interroger et à scruter la stratégie électorale de l’opposition. Faure sait aussi acheter indirectement des opposants par le biais de ses soutiens extérieurs comme Blaise Compaoré. Celui-ci a acheté des opposants, et non des moindres, pour le compte de Faure. Vous comprenez pourquoi l’opposition ne connaît que la route de Ouagadougou comme chemin de dialogue. Et jamais Cotonou, ni Accra. Donc, jamais l’horizontalité, toujours la verticalité qui, comme une source, déverse son torrent de fric. Alors même que le « médiateur » est moins prophète dans sa propre maisonnée où il réprime et assassine avec une brutalité aussi stupéfiante que sa sérénité d’âme. A partir de là, quand être chef de file de l’opposition rapporte autant qu’un haut fonctionnaire de la Banque mondiale, l’alternance a-t-elle encore une pertinence ? Surtout que la gestion du pouvoir exposera sûrement à des incertitudes dont le comportement imprévisible d’une armée taillée pour protéger uniquement les Gnassingbé & Cie. Le « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » de La Fontaine est une devise très réaliste, non ? Le Togo a une opposition réaliste, hyper-réaliste même, au sens de Machiavel, Monsieur Ali !

L’opposition crie aux réformes, le ministre Gilbert Bawara est plus que prêt avec les listes électorales…..

Réformes et listes électorales devraient renvoyer aux mêmes paradigmes de transparence et de sincérité. Qui ne connaît que sommairement le paysage politique togolais verrait en Gilbert Bawara le chevalier blanc électoral. Et comment peut-on être blanc dans un système politique qui connaît « ad unguem » toutes les ficelles des mafias du Nord dont certains membres sont recrutés à coup de dollars ? Les listes électorales dont parle Gilbert Bawara ont été établies avant même sa prise de fonction en juillet 2012 comme ministre de l‘Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales à la place du zélé Pascal Bodjona. Le premier continue le travail entamé par ce dernier, aidé par une armanda d’informaticiens recrutés à prix d’or. On peut légitimement s’interroger sur la qualité du fichier électoral quand le pouvoir oppose un refus à Alberto Olympio, président du Parti des Togolais, qui demande son nettoyage et un droit de regard et d’accès à la base de données. Il faut savoir que l’informatique électorale, qui ne garantit aucune transparence, ouvre grand la porte à toutes sortes de manipulation dès lors que l’on contrôle le code-source. Pour le RPT/UNIR « il est trop tard » comme par hasard. Pour lui, est passé le temps politique utile, c’est-à-dire le cadre-temps où une action politique devait être raisonnablement posée sans précipitation ni pression, pour reprendre Tido Brassier. Car, et le pouvoir, et surtout l’opposition ont fonctionné comme s’ils n’avaient aucune échéance électorale devant eux. L’électeur togolais ira peut-être (je dis bien peut-être) aux urnes en avril prochain, mais pour pour valider officiellement des résultats déjà actés officieusement sur les tablettes de Gilbert Bawara. Lequel, comme Pascal Bodjona, n’est pas nommé à son poste pour organiser des scrutins libres, transparentes et sincères.

Pour le Pr Gogué (ADDI) ou Agbeyomé Kodjo (OBUTS) il faut donner un autre mandat à Faure Gnassingbé en échange des réformes. Le prix n’est pas trop lourd pour un pays qui ne connait que la famille « Gnassingbé » comme dirigeants depuis cinquante ans ?

Le débat est là. Et c’est un débat-piège. D’abord, je reproche avec véhémence à l’opposition, surtout elle, qui n’a rien fait depuis sa signature en 2006 pour que l’APG devienne réalité et pour éviter ainsi le traquenard. Au lendemain de cette signature, Belier-noir se pavanait dans sa grosse Mercedes de fonction dans les rues de Lomé pleine de nids d’autruche, oubliant qu’il avait signé un accord, pendant que Gilchrist Olympio avait quant à lui son agenda bien personnel tout en faisant accroire au monde que la primature revenait à son parti. Ensuite le compromis que proposent Aimé Gogué et Agbeyomé Kodjo est une hypothèse de travail qu’il faut étudier de près. Faut-il la rejeter ? Y a-t-il une autre solution ? Quelles seraient les implications de cette proposition par rapport à une autre ? Le prix à payer est-il « trop lourd » comme vous dites? Comment sortir de ce débat-piège par le haut ? Personnellement, je n’en sais rien et je n’ai aucune solution. Il est de la vocation des partis politiques de trouver des solutions. Là où est un problème, il doit y avoir aussi une solution, pourvu que les parties au conflit (au problème) soient de bonne foi et sincères. La mauvaise foi et le mensonge ne peuvent que compliquer le problème comme c’est actuellement le cas, malheureusement. Enfin, il est absolument politiquement improductif que ceux qui proposent une solution soient considérés comme des « vendus » et soient diabolisés et frappés de fatwa. Au contraire, on doit pouvoir mettre sur la table de discussion toutes les hypothèses possibles. Même les plus farfelues a priori ne doivent pas heurter et blesser notre conscience, s’il ne s’agit que de les débattre. La démocratie c’est aussi avoir le courage d’entendre un autre son de cloche différent de nos convictions, de nos manières de voir et de concevoir une situation.

L’avocat Jean Dégli doute de la transparence de l’élection à venir. Pourquoi s’entêtent les opposants à vouloir à tout prix y participer ?

Ils sont nombreux, les Togolais qui, comme Me Jean Dégli, sont dans le doute de la transparence du scrutin à venir. On retrouve le même état d’esprit au sein du pouvoir et aussi de l’opposition dont certains partis, comme le Mouvement des républicains centristes d’Abass Kaboua, appellent au boycott si les règles du jeu ne sont pas clairement posées dès le départ. Il y a des partis d’opposition qui sont dans l’expectative, d’autres qui ne veulent pas y aller, et d’autres encore au contraire qui tiennent à participer. Pour ceux-ci qui constituent le camp le plus important, je présume, plusieurs raisons sont à lister. Ils évoqueront la pression de la communauté internationale pour qui la politique de la chaise vide est politiquement improductive. Ils évoqueront aussi le fait que leurs militants ne comprendraient pas leur stratégie de boycott. Ils évoqueront en outre la certitude de la victoire, victoire qui serait là, à portée de main, prédite par les pythies et inscrite dans les astres. Toutes ces raisons ne sont que des alibis. Dans la concurrence interne que les partis d’opposition aiment se livrer entre eux, une élection, même frauduleuse, est un moment important qui leur permet de jauger leur « poids électoral ». Les expressions « Ton pied, mon pied ! » ou « Tu sors, je sors » inscrites sur les pagnes des femmes devaient être le logotype de nombre de partis d’opposition. Pendant qu’ils s’occupent à se surveiller entre eux, le pouvoir, lui, leur déroule le tapis rouge jonché de morve sur lequel ils trébuchent et tombent comme des mouches prises dans du miel. Comme dans un couple, les partis d’opposition ont lié destin entre eux et c’est fondamentalement ce qui les empêche à développer une stratégie électorale collective efficiente.

Vous aviez été le premier intellectuel à avertir les Togolais sur la capacité de nuisance de Gilchrist Olympio. Que reste-t-il de l’opposant historique et de son parti l’UFC ?

S’il vous plaît, Monsieur Ali, arrêtez de me considérer comme « le premier intellectuel à avertir les Togolais sur la capacité de nuisance de Gilchrist Olympio ». J’ai écrit ce que je pensais sincèrement. Je ne revendique rien à ce niveau, mais je reproche aux anciens lieutenants de Gilchrist Olympio, obnubilés par la perspective de conquête du pouvoir, d’avoir fermé les yeux sur le comportement et les actes de leur chef. Je n’étais pas scandalisé outre mesure par son accord signé en mai 2010 avec Faure, Gilchrist Olympio étant en cohérence parfaite avec lui-même.

Alors « que reste-il de l’opposant historique et de son parti l’UFC ? ». Bizarrement et paradoxalement beaucoup de choses. Certes l’UFC et son chef ont perdu l’estime de la population et que le parti n’est que l’ombre de lui-même. Mais l’UFC et Gilchrist Olympio préfigurent le devenir de l’opposition. Même si l’accord de mai 2010 n’est exécuté qu’à 1/5, l’opposant historique se targue d’avoir au moins des ministres au gouvernement et des députés à l’Assemblée nationale qui touchent des sommes rondelettes. Et lui-même aime à se présenter comme conseiller spécial du chef de l’État qui le consulte sur tous les sujets. Est-ce certain que d’autres leaders de l’opposition n’aimeraient pas être dans la position « podologique (politique du ventre) » de l’UFC ? Sur les plans matériel et symbolique, ce que l’UFC a fait au grand jour, sa sécrétion utérine, l’ANC, le fait sous cape, dont les rodomontades servent à couvrir l’absence d’une vision politique et stratégique, comme à l’UFC. Si l’on s’amusait à recenser et à juxtaposer les paroles et les actes de ces deux partis, on s’apercevrait aisément que les différences sont infimes. L’UFC est au pouvoir tout en se réclamant de l’opposition, mais elle a sa fille dans l’opposition. Et on peut dire alors que l’opposition compte une UFC et demie en son sein. Voilà ce qui reste de l’UFC dont les anciens barons sont les mêmes qui sont partis fonder l’ANC, gardant le C comme liant : C comme changement accessoirement, mais C principalement comme corruption, C comme conneries (en) politique(s).

Lynx.info : Mr Comi Toulabor merci

C’est moi qui vous remercie.

Bordeaux, le 03 février 2015

Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info
 

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