Camus Ali : Il n’y a aucune raison de croire que la France soutient la lutte au Togo.

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Comment  expliquez-vous que les Togolais marchent et que le pouvoir ne tombe pas ?

Il y a plusieurs aspects. Nous avions une opposition désunie et une société civile inexistante qui n’ont jamais fait preuve qu’elles étaient décidées à en découdre  avec la dictature. Et cela s’explique. Vous avez en leur sein, ceux qui ont servi la dictature, ceux qui veulent la servir encore, ceux qui s’épient et ceux qui ne croient pas en la capacité de réussir. Ajouté aux traîtres, la conquête du pouvoir devient très difficile. Ensuite, vouloir chasser quelqu’un du pouvoir veut dire que, vous avez votre propre gouvernement déjà sur place qui peut prendre les devants afin que le peuple ne se sente pas perdu, ne serait-ce que pour un seul jour. Au lieu de cela, les opposants veulent nous servir le remake de Moïse Tchombé sessessioniste katangais, qui une fois autoproclamé ne connaissait même pas les noms de ses ministres. L’opposition togolaise est dans cette configuration. C’est comme si Faure partait, le drame est aussi résolu. Hier nous avions écrit que ; le départ musclé du président Laurent Gbagbo du pouvoir n’était pas la solution pour la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, Ouattara est sur le même feu qu’il avait allumé sous les fesses de son concurrent. Je ne m’inscris pas dans cette option de la lutte. Chassé Faure avec un programme de société connu et accepté oui ! Le chassé pour le plaisir que sa tête ne plaît pas non ! Faut-il aussi que cette opposition ait les moyens de le déloger.

Le second aspect est purement au niveau de la France ex-puissance colonisatrice. Là où, les politiques hexagonaux auraient ouvert leurs médias voire braquer leurs peuples pour pointer le drame togolais du doigt, vous remarquez qu’il y a un silence de mer. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara avait eu toutes ces faveurs au point même que la France avait tenu à occulter son passage désastreux entre 1990-1993 comme premier ministre. Pour vous dire que le chemin est encore loin pour déboulonner Faure du pouvoir.

Pourquoi la France ferme t-elle les yeux ?

Il y a deux parrains qu’elle tient à protéger bien sûr pour ses intérêts. À la frontière nord du Togo, le Burkina-Faso est devenu  le principal interlocuteur de la France en Afrique de l’ouest. Plus au nord de ce pays, il y a  aussi la Côte d’Ivoire qu’il faut protéger. Résultat, laisser le Togo réussir sa révolution voudrait aussi dire précipiter la chute de Blaise Compaoré et par ricochet refermer le couvercle sur Alassane Ouattara. La France voit d’un très mauvais œil la révolution togolaise donc le CST, Arc-en-ciel et ces centaines de milliers de jeunes qui prennent d’assaut les rues à l’appel de ces mouvements cités.

On dirait que vous êtes pessimiste

Non ! (rires) je suis plutôt pragmatiste. En 1990 j’avais vingt ans. Pour vous dire que j’ai tout vu pour me laisser narguer et laisser narguer les Togolais. Il est vrai que Faure est en difficulté mais pas au point que son pouvoir tombe. Le Togo est devenu un enjeu de taille de la sous région et la France tient à en faire sa chasse gardée pour toujours. Pour le moment, ce sont les Gnassingbé qui  ont cette carte en main et rassure mieux que des opposants que personne ne maitrise et ne connait le véritable but dit-on à l’Elysée.

Les opposants semblent ne pas compter sur la France…

C’est plutôt le contraire… Ces opposants ont il y a, quelques jours  pris le chemin de l’ambassade de France au Togo dans leur marche de protestation pour remettre leurs doléances et prendre ce pays à témoin. J’ai entendu aussi un membre du CST se vanter que le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius les  aurait envoyé un message. N’est ce pas triste de savoir que les opposants togolais après 52 ans d’indépendance ne connaissent pas encore l’hydre ? Je ne comprends toujours pas comment on peut aller soumettre ses doléances à un pays qui  livre tous les arsenaux de guerre pour vous réprimer fusse-t-elle une puissance coloniale. Je n’ose pas croire que l’opposition togolaise soit si naïve… Les Tunisiens et Egyptiens n’étaient pas allés devant les chancelleries des pays qui proposaient des arsenaux de guerre aux dictateurs qu’ils soutenaient pour se débarrasser d’eux. Cette l’une des mauvaises stratégies qui a failli plomber la lutte du CST. Il n’y a aucune raison de croire que la France soutient la lutte donc l’opposition.

Comment vous les trouver ces opposants ?

Personne ne me fascine au point d’en faire mon héros. Certes il y a des braves comme Jean-Pierre Fabre, Me Adjavon Zeus qu’on peut admirer pour leur courage. Mais le courage sans stratégie ne paye pas au 21ièm siècle. Nous ne sommes plus du temps où les héros pouvaient briser les chaînes sans une stratégie qui permette de les soulever. Rappelez-vous de la construction  des pyramides en Egypte.

Alors l’opposition peut  se passer de la France ?

L’effet surprise dans cette révolution est le meilleur. La France n’a pas en main le destin des Togolais. Je ne vois pas pourquoi l’opposition togolaise devrait sourire  et croire quand un seul  politique français  de gauche de droite ou d’extrême droite  fait semblant de  soutenir la lutte.

Et Faure Gnassingbé…

J’écris actuellement un livre sur lui. Un personnage difficile à cerner.  J’ai  pris des contacts avec ses frères qui m’ont raconté que personne ne connaissait ses positions dans la famille. Beaucoup de proches et des amis à lui au collège Tchaminade m’ont raconté qu’il est très réservé avec un caractère de quelqu’un de très introverti. Certes en termes de chef d’état, s’il n’est pas  le pire pour le Togo, il n’est pas aussi celui qu’il faut au peuple en ces moments difficiles.

Vous êtes un peu tendre avec lui…

Comment pourrai-je être tendre avec quelqu’un dont la venue au pouvoir a endeuillé des familles entières et ruiné des générations. Non je voudrais pour le Togo une nouvelle façon de faire la politique. Si Faure ne mérite pas, ce n’est pas par la force brute qu’il faut le déloger. Je préfère qu’on le coince par  des appels à la désobéissance civique. Cette stratégie de Gandhi est la meilleure. Et la constitution togolaise l’autorise quand les Togolais ne savent plus où mettre la tête. On a trop perdu des vies humaines pour rien depuis que le père Gnassingbé comme le fils nous dirigent au Togo.

Qu’est ce que vous le reprochez exactement ?

J’ai combattu Kofi Yamgnane qui voulait devenir président du Togo séance tenante sans un travail de terrain. Je combattrai toujours Faure s’il ne quitte pas le pouvoir  et se mette à travailler pour définir et dire aux Togolais sa philosophie politique, sa vison pour le Togo de demain. Ecoutez, sans verser dans le Gbagboisme, c’est comme, si ce président avait plus laissé une idéologie à son peuple que des lingots d’or. Je veux aussi voir au Togo quelqu’un qu’on magnifiera, pas pour sa paresse et sa puissance financière  mais quelqu’un qui mangera à même le sol pour enfin faire connaître son programme de société à ses concitoyens.

Et pourtant on vous décrit comme un journaliste aux écrits enflammés ?

Vous avez ces écrits pour mes lecteurs et les Togolais ? Non ! La gauche française avait traité Franz Fanon de terroriste à cause de ses écrits sur la guerre d’Algérie. Dans l’histoire des peuples, les éveilleurs de conscience portent tous les noms que les ennemis veulent les faire porter.

Merci

Je vous remercie

Radio Okapi Kinshasa 26 Août 2012

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