Aujourd’hui, il suivrait de loin les derniers jours de la transition…
Officiellement, il ne joue plus aucun rôle, mais il a conservé des alliés à Ouaga, y compris parmi les 22 candidats à la présidentielle du 11 octobre. Que l’on s’en revendique ou qu’on le honnisse, l’ancien président n’est jamais loin.
La rumeur, à Ouagadougou, est acide. De Blaise Compaoré, elle dit qu’il serait dans un sale état, qu’il serait même peut-être mort, mais que les autorités feraient tout pour le cacher. Certains, parmi ses adversaires, en rêvent secrètement. Le fantôme du président déchu cesserait ainsi de les tourmenter, et son ombre, qui n’a cessé de planer au-dessus d’eux depuis que Compaoré a fui en octobre dernier, disparaîtrait enfin alors que les élections présidentielle et législatives approchent.Las ! Dix mois après sa chute (au sens figuré) et sa fuite vers la Côte d’Ivoire, et un mois après sa chute (au sens propre) et son évacuation sanitaire vers le Maroc, l’ex-chef de l’État est toujours là. Il irait même bien, si l’on se fie à ses proches. Sa fracture du fémur, consécutive à « un accident » dans sa villa d’Abidjan en juillet, n’est plus qu’un mauvais souvenir, affirment-ils. L’opération dans une clinique marocaine se serait bien passée et il marcherait depuis plusieurs jours. « Tout bien réfléchi, le fait qu’il soit à Rabat, loin du Burkina, est une bonne chose par les temps qui courent. C’est une source d’apaisement », veut croire un de ses confidents.
Blaise est toujours présent et influent
Voire… car il n’est encore question que de « Blaise » à Ouagadougou, et pas seulement parce que la grande majorité des candidats à la présidentielle a eu un jour ou l’autre à travailler sous ses ordres (voir l’infographie ci-dessous). L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 n’a pas tout effacé, loin de là. L’ancien régime n’a pas été balayé.
« Ses fondements sont toujours là », affirme un diplomate européen qui connaît bien le Burkina. Le régiment de la sécurité présidentielle (RSP), longtemps considéré comme sa garde prétorienne, reste une armée dans l’armée – le seul contingent capable de prendre le pouvoir par la force – en dépit des turbulences qu’il a traversées ces derniers mois.
Il est commandé par Céleste Coulibaly, ancien aide de camp de Compaoré, et l’ex-bras droit de celui-ci, le général Gilbert Diendéré, continue de tirer des ficelles dans l’ombre. « Il connaît l’État, les chancelleries, les services… Aujourd’hui, c’est lui l’interlocuteur privilégié des ambassadeurs en poste à Ouaga », glisse un homme d’affaires proche du clan Compaoré. Lui aussi qui a la main – et c’est nouveau – sur le parti de l’ex-président, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) : son chef, Eddie Komboïgo, est un des proches de Diendéré, et la deuxième vice-présidente n’est autre que l’épouse de ce dernier, Fatou. Est-il resté fidèle à son ancien patron ? « C’est un loyaliste, un vrai homme d’État, explique un de ses amis. Mais il fera tout pour que ce qu’il a bâti pendant vingt-sept ans avec Blaise ne soit pas détruit… »
Le patron de la Corrèze, c’est toujours Chirac ? Eh bien le patron du CDP, c’est toujours Blaise, , affirme une figure du parti…
Les bases du CDP sont solides
Les acteurs de l’insurrection avaient imaginé que le CDP ne survivrait pas à la fuite du chef, et les partis de l’ex-opposition pensaient que ce serait un jeu d’enfant de le déplumer. Il y a bien eu quelques départs : certains ont rejoint le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) de Roch Marc Christian Kaboré, d’autres l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zéphirin Diabré, et d’autres encore se sont émancipés pour lancer leur propre mouvement, à l’image de l’ancien ministre des Affaires étrangères Djibrill Bassolé.
Mais « c’était oublier que le parti ne repose pas uniquement sur la figure du chef » et que « ses bases sont solides », explique un de ses membres. La plupart des cadres sont ainsi restés, notamment ceux qui ont les moyens de financer une campagne. Et le parti reste fort, surtout loin des villes. Dans certains villages reculés du pays, on ne sait même pas que Compaoré est tombé… Les anciens opposants sont conscients de tout cela.
Deux forces s’opposent depuis dix mois. D’un côté, l’alliance entre les organisations de la société civile (OSC) qui ont joué un rôle majeur dans l’insurrection, les partis de l’ex-opposition (au premier rang desquels figure le MPP et son stratège Salif Diallo), le Premier ministre de transition, Isaac Zida (pourtant un ancien du RSP), ainsi que son fidèle bras droit, l’ancien ministre de l’Administration du territoire Auguste Denise Barry. De l’autre, le CDP et ses partis satellites, le RSP, et une partie du milieu des affaires.
Ses détracteurs étaient bien décidés à l’éliminer de la scène
Ceux qui ont eu la peau de « Blaise » ont tout fait pour réduire son « pouvoir de nuisance », guidés tantôt par un esprit de revanche, tantôt par la crainte de voir l’ancien régime renaître de ses cendres dès l’élection présidentielle. « Ils ne veulent pas revivre ce qui s’est passé au Niger avec Mamadou Tandja », explique un homme d’affaires en bons termes avec les deux camps. En 2011, un an après un coup d’État militaire vécu comme un soulagement par une partie de la population, le parti de l’ancien président nigérien avait bien failli l’emporter. Il avait fallu une alliance contre nature entre Mahamadou Issoufou et Hama Amadou pour empêcher cela.
Ils ont d’abord décidé, en décembre, de dissoudre le CDP, ainsi que son principal allié, l’Alliance pour la démocratie et la fédération Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA), avant de reculer sous la pression des chancelleries mais aussi des autres partis, qui voyaient là un dangereux précédent. Puis ils ont tenté – en vain encore une fois, à cause de la résistance des hommes les mieux armés du pays – de récupérer le RSP en le réformant et en réaffectant ses chefs, considérés comme étant des fidèles de Compaoré.
« Les soubresauts qu’a connus le RSP depuis le mois de janvier sont fondamentalement politiques », explique notre source proche des deux camps. Le troisième levier, celui qui a l’apparence la plus démocratique, pourrait finalement être le bon : en avril, l’Assemblée de la transition, très majoritairement anti-Compaoré, a adopté un code électoral qui frappe d’inéligibilité tous ceux ayant soutenu de près ou de loin la modification de l’article 37 de la Constitution dans le but de permettre à Compaoré de rester au pouvoir. Ceux-là pourraient voir leur candidature invalidée.
Son hôte, Alassane Ouattara, lui a demandé de se faire discret
Le rôle de Compaoré reste flou
Le rôle que joue l’ancien président dans cette guerre fratricide qui oppose ses anciens lieutenants reste flou. « Le patron de la Corrèze, c’est toujours Chirac ? Eh bien le patron du CDP, c’est toujours Blaise », affirme une figure du parti. Ses proches assurent pourtant qu’il se tient à l’écart, autant pour une question de principe que par lassitude du pouvoir.
Son hôte, Alassane Ouattara, lui a en outre demandé de se faire discret. Compaoré a ainsi joué un rôle mineur dans le choix de Komboïgo à la tête du CDP. Ce dernier était un proche de Diendéré et de « François », le frère de l’ancien président, qui avait la main sur le parti depuis 2012, mais « Blaise » ne le connaissait pas. « François et Gilbert lui ont dit qu’Eddie n’était pas une figure connue du parti et que c’était un homme riche, indépendant financièrement. Blaise s’est aligné sur ces arguments », glisse un de ses confidents. Depuis, il l’a reçu à quelques reprises à Abidjan mais n’a pas lancé d’appel à voter pour lui.
Aujourd’hui, il suivrait de loin les derniers jours de la transition. Tout juste sensibiliserait-il ses anciens pairs, les chefs d’État de la sous-région, aux menaces qui pèsent sur son pays. « Il est soucieux de ce qui va se passer », indique un proche.
Le jeu de François Compaoré et de sa belle-mère, Alizéta Ouédraogo, deux des radicaux qui ont poussé Compaoré à tenter de modifier la Constitution l’année dernière, est plus ambigu. Le premier partage son exil entre le Bénin, la Côte d’Ivoire et la France, où il a été aperçu récemment. La seconde se trouve la plupart du temps au Niger, où elle a gardé de solides contacts et où elle a signé il y a peu un contrat pour la construction d’une route.
« Au début de la transition, ils ont tenté de tirer quelques ficelles et de pourrir le processus », indique un diplomate en poste dans un pays voisin. Ouattara leur a alors envoyé un message, via « Blaise » : « Calmez-vous ! » Se sont-ils exécutés ? « Tous deux ont beaucoup à perdre, explique un homme d’affaires. Ils ne veulent pas d’un président qui leur chercherait des noises. Alizéta a de l’argent et François a encore beaucoup d’influence sur le parti. » Et pas que sur le CDP : ces derniers mois, plusieurs organisations de la société civile favorables à des élections inclusives ont vu le jour. Beaucoup y voient la main (et l’argent) des anciens durs du régime.
Calculs et espoirs du camp Compaoré
C’est que, dans le camp Compaoré, beaucoup n’ont toujours pas digéré leur déchéance. Ils dénoncent des « traîtres » et répètent que « ce n’est pas une insurrection qui [les]a fait tomber, mais un coup d’État orchestré par le MPP et une partie de l’armée ».
En toute logique, croient-ils, ils devraient donc l’emporter lors des prochaines élections… « Regardez les sondages, dit l’un d’eux. Komboïgo est en troisième position, pas si loin de Diabré et de Kaboré, alors qu’il n’est candidat que depuis quelques semaines. Et encore, ces sondages prennent-ils en compte la campagne ? »
Autant que le pouvoir et d’énormes intérêts financiers, c’est leur survie qui est en jeu. Ils savent que si leurs ennemis jurés du MPP l’emportent, ils subiront les pires misères. « Certains, au MPP, sont très revanchards contre François. Ils n’ont pas oublié qu’il fut à l’origine de leurs malheurs au CDP. Ils feront tout pour le faire tomber », estime un membre de l’ex-opposition. Si les candidats du CDP sont écartés des élections, ils auront le choix entre deux options : soutenir une autre personnalité, susceptible de leur assurer des jours tranquilles, ou prôner, comme ils l’ont déjà fait, une « désobéissance civile » aux contours flous.
Rémi Carayol
Jeune Afrique
{fcomment}