Ouagadougou – La justice burkinabè s’est déclarée incompétente mercredi sur la demande d’exhumation du corps de Thomas Sankara, dirigeant du Burkina Faso assassiné en 1987 lors d’un coup d’Etat qui porta au pouvoir l’actuel président Blaise Compaoré.
La famille Sankara avait demandé cette exhumation pour s’assurer que le corps enterré est bien celui de l’ex-président.
A l’énoncé de la décision, une centaine de personnes ont manifesté dans l’enceinte même du tribunal, s’écriant A bas la justice burkinabé ou encore A quand la vérité pour le peuple burkinabè ?.
D’après l’avocat de la famille de Thomas Sankara, Me Bénéwendé Sankara (qui n’a aucun lien de parenté avec l’ex-chef d’Etat) le tribunal a évoqué deux dispositions techniques pour motiver sa décision, l’une portant sur l’organisation des juridictions au Burkina Faso, l’autre sur le code de procédure civile.
C’est une décision qui fait honte. Mais il y a des voies de recours. On va aller vers la cour d’appel car nous estimons que le droit n’a pas été dit, a affirmé l’avocat.
Depuis 1997, nous avons été devant toutes les juridictions burkinabè, mais pas un seul juge n’a eu le courage de rendre une décision sereine dans l’affaire du président Sankara, a-t-il déploré.
Et Me Sankara de s’indigner : la justice ne peut pas être indépendante dans cette affaire. La justice burkinabè est une justice aux ordres !
Le tribunal de grande instance de Ouagadougou avait déjà repoussé à deux reprises son délibéré, le 5 mars et le 2 avril.
Mousdila Sankara, le cousin de l’ex-président, a confié sa déception quant au délibéré, qu’il dit ne pas comprendre même s’il s’y attendait un peu.
Tout ce que nous demandons, c’est de savoir si c’est bien le corps du président Sankara qui gît à l’endroit indiqué, a-t-il souligné.
En octobre 2010, les ayants droit de l’ex-président avaient assigné l’Etat par voie judiciaire pour ouvrir la tombe présumée et expertiser sa dépouille.
– Putsch –
Thomas Sankara et quatorze de ses camarades ont été tués lors d’un coup d’État le 15 octobre 1987 qui porta au pouvoir l’actuel président Blaise Compaoré.
Leurs corps ont été enterrés au cimetière de Dagnoën à Ouagadougou, sans que leurs familles puissent les identifier.
En avril 2006, le Comité des droits de l’homme de l’ONU avait demandé à l’Etat burkinabé d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara, de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale, de prouver le lieu de son enterrement et de dédommager la famille pour le traumatisme subi.
Thomas Sankara avait pris les rênes de la Haute-Volta par un putsch, le 4 août 1983. Le capitaine, âgé de 33 ans, proclame alors une révolution démocratique et populaire et rebaptise l’ex-colonie française en Burkina Faso (patrie des hommes intègres).
Tribun charismatique, il met l’accent sur l’éducation et la santé. Il instaure des tribunaux populaires pour combattre les détournements de fonds et donne l’exemple en vivant chichement dans un palais délabré.
Sa figure continue d’inspirer écrivains et musiciens au Burkina Faso et ailleurs en Afrique, malgré certaines dérives des Comités de défense de la révolution qu’il avait instaurés.
Le Burkina Faso, après 27 ans de règne de Blaise Compaoré, connaît une forte fracture politique entre ses partisans et ses opposants, alors que la prochaine élection présidentielle se profile en 2015.
L’actuel chef de l’Etat, qui ne peut légalement participer au scrutin, la constitution limitant à deux le nombre de mandats – il a déjà effectué deux septennats et est en passe d’achever son second quinquennat -, a évoqué l’idée d’un référendum pour modifier la loi fondamentale burkinabè, ce qui lui permettrait d’être à nouveau candidat.
Le système ne sciera jamais la branche sur laquelle il est assis, a observé au tribunal Serge Bambara, dit Smokey, un chanteur connu pour son hostilité au régime, qui a appelé la justice à prendre ses responsabilités pour éviter que le peuple (ne) se fasse finalement justice.
AFP