Le parcours
Il est né en 1935 dans une famille de paysans du pays Batéké, une ethnie minoritaire du sud-est du pays et majoritaire au Congo Brazzaville. Pour mémoire, la province du Haut-Ogooue dont il est originaire n’a été cédée au Gabon qu’en 1946 ; ce qui a fait dire à certains que c’était un Congolais naturalisé et expliquait sans doute sa relation particulière avec Denis Sassou Nguesso dont il deviendra le gendre. Après des études secondaires au Congo, il exerce un emploi modeste au sein des postes. Mais ce jeune homme vif et ambitieux est vite repéré par les services secrets français, qui vont l’employer, notamment dans les écoutes téléphoniques.
Bob Maloubier, ancien du Sdece, s’occupe de la garde présidentielle après 64. Le Gabon est alors le repère des barbouzes de tous poils. La garde présidentielle y est composée d’anciens de l’Oas. Paris possède sur place des intérêts économiques stratégiques: l’uranium, exploité dans le sud-est par la Comuf (Compagnie d’uranium de Franceville), et bientôt le pétrole.
Mais Bongo doit son ascension tout autant aux Français qu’au premier président du Gabon indépendant, Léon Mba, qui en fait son directeur de cabinet. En 1964, lorsque le président est victime d’un putsch, avant d’être rétabli dans ses fonctions par les paras français, Bongo refuse de le lâcher. Petite anecdote : il se dit que Léon Mba avait décidé de lui faire passer un test, avec l’extrême onction de Jacques Foccart, en s’appuyant sur De Gaulle qui avait accepté de jouer le jeu en le recevant à l’Elysée. Au sortir du test, De Gaulle dira sa satisfaction (“ Un type valable ”) à Mba qui en fera son “ dauphin ”. C’est d’ailleurs à Paris, dans l’enceinte de l’ambassade gabonaise, que Bongo prête serment en 1967. Et à Paris que, après les émeutes déclenchées par la mascarade électorale de 1993, il signe avec ses rivaux floués un compromis .
En 1973, sur les conseils avisés de Khadafi, le nouveau doyen des chefs d’Etat africains, il se convertit à l’Islam. Mais son appartenance aux réseaux maçonniques (avec une initiation formalisée à Angoulême sous la houlette de Pierre Bussac) a joué un rôle bien plus important au cours de sa longue carrière que son adhésion à l’islam. D’ailleurs l’opportuniste zélé et animiste repenti qu’il est, s’était converti cinq ans plus au catholicisme pour se faire recevoir par Paul VI.
“ Vice-président de la France en charge de l’Afrique ”
C’est le mot qu’a utilisé Christophe Boisbouvier, dans l’édition spéciale d’Afrique soir du 08 juin, pour caractériser le président Omar Bongo. Que n’aurait-il pas fait pour la France. Un homme politique français affirme qu’il avait de la France une plus haute idée que la France elle-même. A la demande de la France, il soutiendra logistiquement en 1968 la sécession biafraise au Nigéria. En 1977, il appuiera Bob Denard, bras droit du mercenariat commandé de Paris, dans sa tentative de renversement de Mathieu Kérékou, l’afro-marxiste.
“L’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant ”, disait le défunt à Libération en 1996.
C’est quand même du haut de cette stature de pivot de la françafrique qu’il obtiendra la tête de deux titulaires du portefeuille de la coopération qui avaient été mal instruits aux subtilités de la fonction : Jean Pierre Cot en 1982 et Jean Marie Bockel en 2008.
Mais c’est sur un plan purement personnel et par vengeance de cocu qu’il commandita en 1979 l’assassinat du peintre Rober Luong, l’amant de la Première Dame, Marie Joséphine.
Médiateur impliqué mais au bilan mitigé
On lui est reconnaissant, du moins Idriss Deby Ibtno et la France, d’avoir sauvé le président tchadien de l’offensive décidée d’une colonne de l’opposition armée tchadienne aux portes de Ndjamena. Mais Ange Félix Patassé qui a constaté que l’Udeac-Cemac ne voulait pas dire grand-chose ne lui est sans doute pas infiniment reconnaissant, bien qu’il ait eu à faire le voyage de Bangui pour rencontrer les putschistes. Son intervention en Rdc n’a pas été couronnée de succès du temps de Kabila père. Et que dire de sa neutralité lourde de sens dans le conflit qui a ravagé le Congo Brazzaville ? L’on se souvient encore du refus catégorique que lui opposa Laurent Gbagbo dans le conflit avec Alassane Dramane Ouattara.Toutefois, c’est lui qui a accueilli la famille de Thomas Sankara après le coup d’Etat de 1987.
Faroteur devant l’éternel ”
Journalistes, hommes politiques de son pays comme d’ailleurs, personne ne repartait d’une entrevue avec Bongo les mains vides. Il avait sa spécialité : missions de conseils et d’audit. Ces derniers mois, on a beaucoup cité Bernard Kouchner. Mais la liste de ses obligés dans le paysage politique français relierait facilement Paris à Bongoville, son village natal.
L’ami des opposants d’ailleurs
Il les recevait personnellement dans son bureau présidentiel. Mais curiosité du personnage, et comme l’avoue Ibrahima Niasse, ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade, il ne le faisait jamais sans en informer le président du pays d’origine de l’opposant reçu en tête à tête. “ Et ce n’était pas pour encourager le concerné à continuer à s’opposer, mais à trouver des solutions consensuelles.
L’équilibriste de la politique intérieure française
Pendant des décennies il a financé la droite gaulliste française. Mais il a compris dès les années 1980 qu’il était important de garder la main dans un pays qui avait tendance à trop basculer : il s’est mis à financer droite et gauche. Ne se souvient-on pas que pour les élections présidentielles de 2007, Jean Marie Le Pen, François Bayrou et … Nicolas Sarkozy (qui pourtant promettait la main sur le cœur de mettre à mort la françafrique) ont fait le déplacement de Libreville.
“ Propulsé en 1967 à la tête du petit émirat pétrolier du Golfe de Guinée, ce petit homme aux lunettes noires aura connu et fréquenté pas moins de six présidents de la République française. Le dernier, qui avait promis la “rupture” avec des pratiques d’un autre temps et de ténébreux réseaux franco-africains, se rendit sans broncher à Libreville pour son premier voyage en terre africaine, en juillet 2007. Le soir de son élection, Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs appelé un seul dirigeant étranger, avant même la fermeture des bureaux de vote, pour le remercier pour ses “conseils”: Omar Bongo. ” (Libération du 08 juin 2009)
“ Dieu le père ”
Dans son entourage, on l’appelait “ papa ”, comme c’est finalement un usage dans plusieurs pays d’Afrique francophone. Pour le petit peuple, c’était le “ boss ” ou “ presida ”. Tout puissant, il l’était assurément aux yeux de générations de Gabonais qui n’ont connu que lui et s’imaginent qu’il faut peut-être que son fantôme s’incarne dans Ali ou Pascaline. Au cours de son long règne, Bongo a coopté un à un ses opposants au sein des différents gouvernements qui se sont succédé à Libreville en quarante ans, réduisant à néant toute idée d’alternance. Le dernier gouvernement est un ramassis de 52 ministres dont 10 d’Etat. Excusez du peu : c’est le ratio le plus insultant de la planète au regard du nombre d’habitants du pays. Avec une mention spéciale au « vice-premier ministre à la présidence de la République, chargé de la Refondation, des Droits humains, de la coordination des grands travaux et des Fêtes tournantes ».
Sa succession risque de se révéler d’autant plus délicate à gérer, en l’absence de relève crédible. La Constitution prévoit, en cas de décès du chef de l’Etat, l’organisation d’une élection sous quarante-cinq jours par l’intérimaire de service : le président du Senat. Au fil des ans, quelques figures de proue de sa famille pléthorique ont pris une place prépondérante. Sa fille, Pascaline, qui dirige le cabinet présidentiel, a la haute main sur les finances, tandis que son fils, Ali, qu’on dit d’ores et déjà adoubé par Sarkozy, contrôle l’armée à la tête de laquelle il a placé ses fidèles. Vice-président du parti au pouvoir, ce dernier est idéalement placé pour succéder à son père, étant donné la brièveté de la campagne et l’état d’impréparation de ses adversaires.
Mais enfin, la question de l’après-Bongo ne se pose même pas, car ce pays est né avant lui et lui survivra quoiqu’il se soit déployé à prouver le contraire par sa manière originale de gouverner. Au Gabon, il a su régner sans faire usage de la force, contrairement à nombre de ses pairs sur le continent. La clé de sa réussite tient en quelques mots: un instinct politique hors pair et un usage raisonné de la corruption.
Pierre Mamboundou ou Zacharie Myboto que l’on présente comme ses opposants les plus “ crédibles ” ne sont pas moins des enfants du système au même titre que Jean Ping, Casimir Oye Mba ou Paul Mba Abessole. Que la jeunesse gabonaise ne se laisse pas induire en erreur et se prenne en charge. Elle peut attendre la fin du mandat du successeur quasi désigné du Vieux. Mais c’est surtout le temps de s’exorciser d’une époque révolue, d’une présidence à vomir, d’une navigation à vue dont l’Afrique est rassasiée. C’est le temps de réfléchir à une reformulation dans les moindres détails des relations avec la France. C’est le temps que la chute de l’unique et unique baobab gabonais permette aux jeunes pousses qui souffrait de son feuillage touffu de profiter des rayons d’un soleil qui n’a jamais cessé de luire mais que l’omniprésence de Bongo ne laissait même pas deviner si radieux. L’avenir du Gabon est devant lui. Bongo n’a fait que le retarder pour le bonheur de la France et le malheur de ce pays dont le revenu par habitant est de 5000$ dollars mais où 1/3 de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Le malheur du Gabon
El Hadj Omar Bongo Ondimba a géré le Gabon comme un chef de village gère ses populations, nommant jusqu’à une époque récente même les directeurs d’école primaire.
Fer, manganèse, uranium, bois, pétrole. Le Gabon avait tout au moment où Bongo arrive au pouvoir pour faire du Gabon un pays développé. Au moment où il quitte la scène, Chinois et Français essentiellement exploitent les ressources du pays. Mais les négociations boiteuses comme savent en faire nos chefs d’Etat laissent-elles une chance de retombées heureuses à ce pays au million d’habitants à peine ? En 40 ans, il a asphalté moins de mille kilomètres de ce petit Etat.
Affaire des biens mal acquis
La France, si ingrate devant l’Eternel et ça ne date pas d’aujourd’hui – les familles des anciens combattants le savent – a voulu remercier Bongo de ses excellents états de service pour la mère patrie en l’humiliant avec une procédure … en France contre Bongo (et consorts) pour biens acquis avec l’argent public gabonais. Que veut-on nous montrer ? L’indubitable myopie des juges depuis quarante ans ? La partialité mouillée des hommes politiques français avant 2007 ? L’incapacité de la justice gabonaise à instruire cette affaire ? L’injure suprême faite à chef d’Etat du pré-carré au moment où on n’en veut plus – il vaut mieux avoir affaire avec un chef docile et peu puissant financièrement qu’à un vieux briscard à qui l’on doit droit de succession et financement occulte de campagne ? Ou simplement que la société civile est aujourd’hui le vrai quatrième pouvoir au point d’infléchir le respect d’une tradition aussi vieille que les ex-pays de l’Aef-Aof sont indépendants – l’impunité des serviteurs à la-vie-à-la-mort de la tutelle bleu-blanc-rouge ?
On le regrettera… mais juste un peu
Le Sénateur et ancien ministre Charles Pasqua dit regretter “ la perte d’un ami ”. Et c’est le mot qui revient souvent dans la bouche de certains hommes politiques français. Où ont-ils fait naître leur amitié ? Est-ce au Tchad en 1958 quand celui qui s’appelait encore Albert Bernard y effectuait son service militaire et son propre aveu servait “ comme petit espion militaire français ” ? N’est-ce pas quand assis sur ses barils de pétrole, il achetait considération et amitiés en France et ailleurs ?
« Omar, prédisait en 2005 un de ses intimes, mourra au pouvoir. Il ne vit que pour ça. »
Bien sûr, ses pairs blancs et noirs ont dès son dernier souffle activé le moulin à louanges posthumes. Hommage au « sage de l’Afrique », qui sut grâce à son art consommé des alchimies ethniques et régionales préserver sur ses terres la paix civile, au cœur d’une Afrique centrale ravagée par la guerre. Honneur à « l’homme de paix », si prompt à jouer les médiateurs dès qu’un conflit menace, le téléphone dans une main, le carnet de chèques ou la mallette de cash dans l’autre. Gratitude aussi, mezza voce cette fois, envers le « parrain » qui chaperonna et finança tant d’ambitions sur l’échiquier politique hexagonal ou au sein de la caste des avocats déférents, des émissaires retors, des conseillers flagorneurs et des journalistes à l’éthique élastique. Mais ce rituel concert d’éloges ne saurait masquer les failles cruelles d’un règne de 42 ans.
Trente jours de deuil. C’est la période arrêté par le gouvernement gabonais et dévoilé par le Premier ministre Jean Eyeghe Ndong. Mais il y a erreur de calcul : cela aurait dû un jour par année de pouvoir et l’on aurait eu quarante un jour et trois quarts de deuil national pour celui dont la longévité fai(sai)t gausser.
S’il y a des regrets, c’est bien de la France qu’ils s’exprimeront le plus intensément et par pudeur, le moins bruyamment. Car c’est le citoyen français le plus irréductible qu’on ait vu à la tête d’un pays africain. Et vivement que ce cher petit pays ait le courage de se prémunir du syndrome ivoirien que la mort d’Houphouët-Boigny a mis à nu.
Le problème tribal que la France veut mettre en avant pour justifier l’injustifiable et expliquer l’inexplicable est un faux problème au Gabon comme ailleurs. Seuls leurs sbires à la tête des Etats en sont convaincus et s’attèlent à le développer. Ces tribus ont connu des guerres pour les terres, pour les esclaves, pour les impôts. Parce qu’il fallait que le plus fort assujettisse le plus faible. Mais le jeu des alliances par les mariages, par les concessions a existé. C’est dire que le vivre ensemble n’a pas attendu le Blanc pour être une réalité en Afrique. Et Historiens et Anthropologues ont le devoir devant Dieu et les hommes de le faire savoir à travers leurs travaux. Qu’on cesse donc de faire comme si le Gabon, comme les pays du pré-carré, est un enfant à qui on doit dire ce qu’il doit faire et qu’il ne peut pas assurer la transition dans le respect de la constitution qu’il s’est donnée.
Par Kamdem SOUOP * * Ecrivain