Blé Goudé à la CPI, une décision risquée pour la Côte d’Ivoire (Le Monde)

0

Dans son édition du lundi 24 mars, le quotidien français Le Monde estime que le transfèrement de Charles Blé Goudé à La Haye, relance le débat sur l’impartialité des procédures concernant la crise post-électorale.

Le journal rappelle que celui qu’on surnommait le « Général de la rue » pour sa capacité à mobiliser les foules, surtout parmi la jeunesse, est accusé de crimes contre l’humanité commis pendant les violences post-électorales de 2010-2011, qui ont fait 3 000 morts selon l’ONU. Meurtres, viols, actes de persécution et actes inhumains : les mêmes charges que celles qui pèsent déjà sur son mentor, transféré en novembre 2011 à La Haye.

Un mandat d’arrêt international avait été émis en 2011, alors que cette figure de l’ancien régime était en cavale et rendu public le 30 septembre 2013 document. Entre temps, en janvier 2013, Charles Blé Goudé avait été arrêté au Ghana. Abidjan aura mis plus d’un an à se décider à l’envoyer à la CPI : début mars, les juges internationaux exigeaient pour la deuxième fois l’application de leur mandat d’arrêt.

Selon Le Monde, cette décision tombe aussi quelques jours après la parution de photos de Blé Goudé en sous-vêtements, prises dans ce qui semble être sa cellule, une pièce exiguë et sordide : depuis son arrestation, les autorités ivoiriennes l’ont maintenu dans un lieu tenu secret, limitant le plus possible ses contacts avec l’extérieur. Ses avocats n’ont cessé de se plaindre de ne pas avoir accès à leur client : ces images avaient ainsi relancé les rumeurs qui circulaient déjà sur les mauvais traitements dont il aurait été victime. Le ministère de l’intérieur a eu beau publier quelques jours plus tard des clichés présentant Blé Goudé souriant dans une chambre confortable équipée d’une télévision, le mal était fait, et la mise en scène n’a pas convaincu ses partisans.

Un troisième mandat d’arrêt contre Simone Gbagbo

Charles Blé Goudé est le deuxième ancien dirigeant ivoirien incarcéré à La Haye, mais les juges de la CPI ont émis un troisième mandat d’arrêt, contre l’ancienne première dame Simone Gbagbo, détenue depuis avril 2011 dans une résidence surveillée du nord-ouest de la Côte d’Ivoire. Un dossier plus sensible, comme le confessent des proches d’Alassane Ouattara : envoyer à La Haye une femme, même épouse de chef d’Etat, est inédit, et à l’heure où de plus en plus de dirigeants africains récusent la légitimité de la justice internationale, ce geste serait très mal interprété par les pairs du président ivoirien.

Les avocats de la Côte d’Ivoire ont ainsi contesté la compétence de la Cour, arguant que Simone Gbagbo pouvait être jugée dans son pays pour la même catégorie de crimes que ceux que la CPI lui reproche. Des sources proches du milieu judiciaire ivoirien confirment que ce dossier est bien avancé, plus abouti en tout cas que celui de Charles Blé Goudé, pour lequel il aurait été difficile aux Ivoiriens de prouver qu’ils étaient capables de le juger eux-mêmes. Lorsqu’il a annoncé à la presse le transfèrement imminent de l’ancien ministre de la jeunesse de Gbagbo à la CPI, le garde des sceaux ivoirien a d’ailleurs confirmé qu’il s’agissait d’un cas particulier.

«Ce personnage représente ou incarne la violence et la douleur, a expliqué Gnenema Coulibaly. C’est lui qui a introduit la violence dans les universités ivoiriennes, bien avant la crise post-électorale, à travers la Fesci, la fédération estudiantine et scolaire. C’est lui qui demandé que les véhicules de l’Onuci [la mission des Nations unies en Côte d’Ivoire]soient pris pour cible par les Jeunes patriotes pendant la crise post-électorale. Nous estimons qu’il doit aussi répondre des torts causés à la communauté internationale. »

DANS LA MÊME AILE QUE LAURENT GBAGBO

Ses avocats déplorent ce deux poids deux mesures. « Charles Blé Goudé a toujours affirmé son désir et son droit d’être jugé parmi les siens, rappelle Maître Nick Kaufman, un ancien de la CPI. Le gouvernement ivoirien prouve aujourd’hui, au-delà de tout doute raisonnable, que son approche de la justice est arbitraire et motivée politiquement. » L’avocat israélien, qui a compté parmi ses clients des membres de la famille Kadhafi, a l’intention de contester la compétence de la CPI. En attendant, Charles Blé Goudé sera détenu dans la même aile que Laurent Gbagbo, sans avoir l’assurance de pouvoir communiquer avec lui : les juges peuvent émettre une interdiction de contact entre certains détenus.

En Côte d’Ivoire, ce transfèrement relance le débat sur l’impartialité des procédures concernant la crise post-électorale, que ce soit dans le pays ou à La Haye, écrit la Maureen Grisot, la correspondante du journal à Abidjan. Alors que plusieurs des chefs de guerre qui ont permis à Alassane Ouattara de renverser Laurent Gbagbo sont accusés de graves violations des droits humains dans des enquêtes nationales et internationales, aucun jusqu’à présent n’a été inquiété : seul un Burkinabé, ont utilisé comme supplétif, est aujourd’hui incarcéré. La plupart ont même été promus dans la hiérarchie militaire : alors que se profile l’élection présidentielle, prévue en octobre 2015, le régime de Ouattara semble ne pas avoir envie de défier la loyauté de ceux sur qui repose sa sécurité.

Du côté de la CPI, on assure que l’enquête sur les forces loyales à Alassane Ouattara prendra du temps mais qu’elle sera faite. Les enquêteurs avaient d’ailleurs commencé à travailler sur les tueries massives de mars 2011 à Duékoué, dans l’Ouest du pays, des crimes qui pourraient impliquer des membres haut placés de l’administration actuelle. Ces derniers n’ont sûrement pas oublié la promesse faite par Luis-Moreno Ocampo. L’ancien procureur de la Cour pénale internationale avait affirmé que le même nombre de personnes serait poursuivi dans les deux camps, conclut Le Monde.

Le Monde

Partager

Laisser une réponse