Bénin : Lionel Zinsou dans les crocs d’« un piège sans fin » de la présidentielle du 6 mars 2016 [Par Comi Toulabor]

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On peut se demander si le franco-béninois Lionel Zinsou, plus connu à Paris qu’à Cotonou, nommé le 19 juin 2015 Premier ministre (PM) du gouvernement du Bénin, n’est pas entré dans une zone de fortes turbulences. Dans le pays de son père qui est pour lui « plus touristique que familier » , puisqu’il le connaît à peine, il pensait se mouvoir dans un écosystème politique tranquille comme un long fleuve, capable de gagner haut la main la présidentielle initialement fixée au 28 février et reportée au 6 mars (et rien n’indique que cette nouvelle échéance soit tenue) pour laquelle il a été désigné comme le candidat de la coalition au pouvoir, les FCBE (Forces Cauris pour un Bénin émergent). Brillant normalien de 60 ans, banquier de son état, nègre et protégé de Laurent Fabius, ayant fait toute sa carrière en France, son deal avec le très contesté et controversé président sortant Boni Yayi au lourd passif (mal-gouvernance économique, incompétence, fossoiement de la démocratie et des libertés, multiples scandales érigés en modalité d’action gouvernementale) a surpris plus d’un, et son crash le 26 décembre 2015 n’a pas laissé les Béninois indifférents à sa « stratégie de communication ». 

Lionel Zinsou : un Éyadéma au petit pied?

C’est le moment où les chrétiens soignaient leur gueule de bois post-fête de la Nativité que Lionel Zinsou choisit pour mater la mort le 26 décembre dans le crash de son hélicoptère à Djougou, dans le nord-ouest du Bénin, après un déjeuner avec le président togolais Faure Gnassingbé, successeur de son père. Les sept passagers sortirent indemnes, excepté deux d’entre eux victimes de quelques légères blessures. Près de quarante ans plus tôt, le 24 janvier 1974, dans le même périmètre géographique, le DC-3 d’Éyadéma se crasha à Sarakawa (nord-est du Togo), localité située à une heure à peine de route de Djougou. Celui-ci surexploita en termes magico-religieux et mythificateurs, avec une habileté machiavélique rare, cet accident d’avion au point qu’il en fit la pierre angulaire de son pouvoir, alors fondé sur un État de foi plutôt que sur un État de droit . En dépit de leur distance temporelle, ces deux événements se lisent néanmoins dans un miroir réfléchissant des proximités très congruentes. Deux pays limitrophes : le Bénin et le Togo ; deux localités voisines : Djougou et Sarakawa ; Lionel Zinsou et Faure Gnassingbé, respectivement neveu et fils d’anciens présidents ; deux aéronefs : l’hélicoptère et l’avion ; etc. Le crash de l’hélicoptère donnera-t-il une densité légitimante à la candidature contestée de Zinsou en établissant une filiation symbolique avec la figure de l’ancien président togolais Éyadéma ? Cette lecture-là, ni Zinsou lui-même, ni les Béninois ni les états-majors des partis politiques ne la font, bien sûr. Dans ce pays comme ailleurs où pratiques religieuses et pratiques politiques sont d’une grande porosité, il n’est pas impossible que l’inconscient collectif, défiant les dogmes catholiques, imagine un Lionel Zinsou en frère jumeau de Jésus en train de naître avec un jour de décalage dans un hameau au nord du pays vaudou, alors que l’annonce du crash ne suscita qu’ironie et moqueries générales sous la plume par exemple de Roger Gbégnonvi ou celle anticipatrice de Martin Mateto

Au pays des veaux-doux (vaudous),il y a aussi des bœufs-durs (des crocodiles), Monsieur Zinsou !

Ce furent des coups de feu nourris qui accueillirent la candidature de Zinsou. Ont été vite dénoncées la manœuvre et la stratégie de Paris pour l’imposer et surtout celles de Boni Yayi qui l’a positionné comme son dauphin. Hermann Boko et Serge Michel montrent comment cette candidature déchaîna des passions au sein de l’opposition, dans la presse locale (La Nouvelle Tribune), les réseaux sociaux et la diaspora béninoise dont certains membres l’ont interpellé par des lettres ouvertes, comme celle du 20 décembre 2015 de Patient Gandaho, un Béninois résidant en France . Son père René Zinsou, docteur en médecine, et son oncle Emile Derlin Zinsou, ancien président du Bénin, dissuadèrent en vain « l’homme qui n’écoute que son devoir ». Son père (un peu de plus de 90 ans) roule maintenant pour lui et il l’amène avec lui de meeting en meeting comme son interprète en fon. La plupart des réactions ont insisté sur l’identité du candidat perçu comme « un étranger », « un venu de France » ou comme « un homme seul » et voient en lui un « néophyte » de la politique ou un « ouvrier de la 25ème heure » à qui l’on prédit « un échec cuisant » quand on ne moque pas « ses boubous en bazins bien brodés et taillés sur mesure ». On souligne son exceptionnalité comme étant « le seul Français à la tête d’un pays d’Afrique » chargé de mission de pérennisation de la Françafrique. On lui fait observer qu’il a intérêt à suivre l’exemple de Barack Obama, né de père kényan et de mère américaine, qui n’a jamais songé briguer la présidence du pays de son père et qu’il rendrait un grand service au Bénin en devenant président en France.

Pour déjouer le piège Zinsou, des fronts se sont constitués comme le « Rassemblement nouvelle conscience » lancé par Pascal Koupaki, un ancien Premier ministre de Boni Yayi et activement soutenu par le « faiseur de rois » Albert Tévoédjro, ou le « Front de refus du Bénin Waxala », initié par l’ancien président Nicéphore Soglo dont la famille est aujourd’hui divisée : le père et la mère Rosine anti-Zinsou s’opposent à leur fils Léhady, pro-Zinsou, qui est à la fois maire de Cotonou et président de Renaissance du Bénin, le parti de papa et maman. Tandis qu’au sein de la coalition FCBE, soumise au diktat du chef de l’État, de semblants de soutien et de mobilisation qui s’organisèrent sans grand enthousiasme autour de leur candidat commencèrent à se fissurer. De profonds schismes sont apparus en son sein avec un nombre incalculable de défections de ses cadres importants fur et à mesure de l’approche de l’échéance présidentielle. Comme l’ancien ministre des Affaires étrangères, Nassirou Afari-Bako , candidat qui a créé son propre parti et qui vient de se rallier la candidature Zinsou ou comme « le taureau de Parakou », le bouillant député Rachidi Gbadamassi qui soutient un autre présidentiable, Sébastien Germain Ajavon, roi de l’agro-alimentaire et patron des patrons.

Le PM-candidat ne manque pas d’alliés non plus. Ainsi, d’anciens militaires à la retraire, tel le colonel Louis Akanni, se sont désistés en sa faveur face à la surabondance de candidats déclarés (33 quand même !). Adrien Hougbédji, président du PRD (Parti du renouveau démocratique) et président de l’actuelle Assemblée nationale, véritable figure de la transhumance politique reconnue et assumée , lui apporte son soutien contre un retour d’ascenseur explicite. Et il voit dans le report annoncé du scrutin une chance d’assumer l’intérim de la présidence de la République en cas de vacance du pouvoir, ce qui risque de se produire. Zinsou peut compter aussi sur le vieil Olympe Bhêly Quenum (88 ans), auteur du célèbre roman Un piège sans fin, paru chez Stock en 1960 . Tandis que son coach électoral, Boni Yayi, qui ne le lâche d’une semelle, n’hésite pas à intervenir pour mettre des bâtons dans les roues de concurrents jugés trop dangereux pour son poulain, comme son ancien argentier lors de la présidentielle de 2006, le multimilliardaire Patrice Talon, tombé en disgrâce. Et dans la diaspora, notamment en France, des réseaux se sont formés comme le « Soutien à Lionel Zinsou pour la présidentielle en 2016 ». Derrière le PM-candidat se bousculent aperto naso en réalité de gros intérêts d’affaires hexagonaux réunis au sein du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) et du CIAN (Conseil français des investisseurs en Afrique), des chasseurs de bonnes affaires, des fondations ad hoc, le Quai d’Orsay fabusien, la presse révérencielle et tous les lobbies françafricains (les interventions même de Zinsou sur la Françafrique et le franc CFA lors de son passage chez le journaliste Patrick Cohen sur RFI le 1er décembre 2015 sont assez révélatrices et en disent long !) que les élites béninoises au nationalisme bien chevillé au corps voient d’un très mauvais œil débarquer en force et sans complexe dans le pays.

Le 28 février : les carottes sont-elles définitivement cuites ?

Manquant de relais institutionnels et de soutiens politiques et sociaux jusqu’au sein des FCBE en pleine décomposition, sa campagne électorale patine, plombée par l’héritage Yayi. La distribution de lampes-torches dans les villages, de billets de banque et la promesse de « lycée gratuit pour les jeunes filles » suffiront-elles à compenser le déficit de son programme électoral (kits solaires, centrale électrique) qui fait plutôt dans l’incantatoire ? Il pourrait tomber de ses illusions présidentielles et perdre de sa superbe comme Ahouna Bakari, ce héros du roman Un piège sans fin de son soutien Olympe Bhêly-Quenum. Pris dans une spirale d’infortunes et de déconvenues inattendues, Ahouana, pourtant né avec une cuillère en or dans la bouche, se retrouva dépenaillé, meurtrier de sa femme et de son ami, et termina en prison. Le destin d’Ahouana serait-il ici plus prophétique que le communiqué de ralliement olympien à la candidature de Zinsou ? Se référant aux passages de l’évangile de Luc (II : 29-32), – connus sous l’appellation latine Nunc dimittis – Bhêly-Queunum se compare au vieux Siméon ayant vu de ses propres yeux l’enfant Jésus et qui peut dès lors mourir en paix (Cf. benintimes.info du 21 janvier 2016).

Pour autant, toutes les portes de la victoire sont-elles fermées pour lui ? Le citoyen-électeur béninois, souvent intellectuellement démuni et peu ou mal informé et manipulé à l’excès, dont le vote est souvent « marchandisé » sera-t-il sur la même longueur d’onde que les états-majors des partis et les leaders d’opinion, où le nomadisme politique est un sport national ?
Partageons ici cette analyse, que je cite in extenso, de Binason Avèkes sous forme de pythie vaudou intitulée « Bénin, Au-delà du Holdup électoral 2.0 : la liste secrète du 1er gouvernement Lionel Zinsou » publiée sur son blog babilown.com-Mawole, le 1er février 2016 :
« Le vin du Holdup électoral 2.0 est, il faut avoir le courage prémonitoire de le dire, tiré ; et, toute honte bue, il ne faut pas faire la fine bouche pour le boire. Tout d’abord, l’arrivée de Lionel Zinsou dans la course présidentielle, aussi scandaleuse soit-elle du point de vue de la dignité nationale, n’est que la conséquence de ce que les Béninois et le système béninois ont toujours voulu et fait. Nous avons passé 50 ans à nous discutailler, à nous amuser comme des gamins, à humer le parfum lénifiant de l’aliénation, et ce qui devait arriver arrive inexorablement : celui qui nous a accordé l’indépendance sans que nous ayons à mettre notre vie en jeu comme le firent les Algériens ou les Vietnamiens, a décidé de reprendre ce qui dans nos mains est resté à l’état de jouet pour grands enfants inconscients. Pour nous Béninois, le Président idéal est quelqu’un qui vient de l’extérieur. Et, de proche en proche est arrivé le Français, l’étranger politique absolu, celui qui n’a aucun terroir, d’où/dont il peut parler la langue, signe de son appartenance réelle à la nation multiethnique béninoise. On ne peut pas élever une poule et ne pas vouloir son œuf, disent les Yoruba ; celui qui a appelé le groupe de tam-tam ne peut refuser d’entendre du bruit, disent les Fons. Par ailleurs, Yayi Boni a fait sortir le lièvre Zinsou de son chapeau à cause de sa rivalité fratricide avec Patrice Talon . Il voulait quelqu’un de suffisamment select pour en imposer à ce sudiste milliardaire assez intelligent et rationnel, quelqu’un qui soit encore plus intelligent et rationnel, et qui ne rougit pas des milliards de Patrice Talon, parce qu’en la matière, il a et sait de qui tenir – la grande Françafrique. Et voilà Zinsou qui a débarqué. L’homme est content d’être là. Cela faisait longtemps qu’il ne demandait pas mieux, et ses désidératas étaient pris pour un rêve insensé. Maintenant, le rêve insensé est en passe d’être réalité. Il piaffe d’impatience de voir venir le jour où, lui qui n’a pas pu même dépasser le stade de nègre d’un ministre français dans son propre pays, sera reçu à l’Élysée, par le Président de France avec tous les honneurs dus à un président de la République : le Président français qui reçoit un président français, beau moment de vertige réflexif, culminant la lente progression de la reconquête néocoloniale de l’Afrique par la France ».

Il est probable que l’électorat voit en Zinsou un candidat doté de ressources rares qui font la différence réelle ou supposée avec ses adversaires : virginité politique, intégrité morale, compétence professionnelle reconnue. Ce qui corrèle avec les profils de Nicéphore Soglo ou de Boni Yayi quand ils avaient été candidats à la présidentielle, respectivement en mars 1991 et en mars 2006. Face à lui, les candidats qui ont un poids électoral et apparaissent un peu crédibles sont des milliardaires qui ont fait la plupart fortune à la vitesse supersonique dans l’interlope avec le risque de conflit d’intérêts majeur une fois élus. Aussi, il n’est pas certain que les électeurs Béninois boudent Lionel Zinsou ou le condamnent avec des reproches afflictifs comme le fait la classe politique dont les acteurs sont habitués à faire des croche-pieds entre eux. Le crash du 26 décembre 2015 serait pour eux un signe positif du destin horoscopique envoyé par les vaudous et les dieux que, pour l’instant, le trop technocrate coincé et le très peu politique décomplexé Lionel Zinsou ne sait pas exploiter à la façon Éyadéma. Comme l’observe Roger Gbégnonvi dans un échange de mails informel, « Cet accident par terre, dont tout le monde est sorti heureux et ravi, peut participer en effet de la publicité forcenée que l’on fait au yovo [le Blanc]venu sauver la France au Bénin. Son instrumentalisation mythico-religieuse peut toujours être lancée une fois Lionel Zinsou à la présidence. Quand le roi de Kinto et des Hoézènou le reçoit en son palais à Cotonou le jour du crash pour lui décerner le titre de « Dah Tozé » (élu du peuple) en compagnie de son père et de quelques responsables religieux, ce geste symbolique insignifiant en soi est un premier jalon sur le chemin de son héroïsation . Et le Nunc dimittis d’Olympe Bhêly Quenum serait le second jalon prémonitoire.

En attendant le vote des veaux-doux béninois (dans l’imaginaire des états-majors des partis politiques, l’électeur lambda n’est-il pas pris pour un veau ?), la propulsion de Zinsou participe d’une déstructuration croissante du paysage politique en mal de consolidation, notamment des partis politiques. Le retour ou l’accession à la magistrature suprême de candidats sans parti politique désorganisent beaucoup plus le jeu partisan, contraignant ses acteurs à s’ajuster constamment dans des alliances et mésalliances qui ne sont pas toujours propices au processus de consolidation démocratique. La démocratie béninoise, souvent citée en exemple, souffre depuis ses origines de ces déclassements et reclassements comme avec le retour de Mathieu Kérékou en 1996-2006, l’accession de Boni Yayi en 2006-2016 et maintenant Lionel Zinsou. Et on remarque que très tôt celle-ci s’est installée dans ce processus de piège sans fin de candidats sans parti. Comme l’a été la démocratie malienne sous Amadou Toumani Touré (ATT), successeur sans parti d’Alpha Oumar Konaré en 2002, qui s’obligeait à gouverner dans un consensus d’impuissance jusqu’au coup d’État de mars 2012 qui l’emporta. Si les gros intérêts et écuries alignés derrière Lionel Zinsou pouvaient penser au cas malien, ce serait une grande leçon tirée des expériences malheureuses. En politique, il semble que cela ne marche pas ou le moins possible.

Par ailleurs le cas béninois nous informe aussi que les normes, c’est-à-dire les constitutions, les institutions et les lois, sont impuissantes en elles-mêmes si les acteurs chargés de les faire agir ne jouent pas la règle du jeu en n’agissant que selon leurs bon gré et intérêts personnels, et la gestion du pays du président sortant est une illustration. L’interaction entre norme, acteur et société devient alors caduque, et la démocratie un cimetière où les acteurs encore debout viennent contempler des normes mortes qui ne disent plus rien et n’ont plus aucun sens. La démocratie béninoise semble prendre insidieusement ce chemin mortifère de la facilité à l’instar de sa voisine togolaise et d’autres sur le continent et dans le monde. Et Lionel Zinsou y aura apporté sa grosse contribution de plein gré.

Bordeaux, le 17 février 2016

Comi M. Toulabor
Sciences Po Bordeaux
Les Afriques dans le monde

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