Dans son dernier livre « éclipse sur l’Afrique, fallait-il tuer Khadafi ? » pas encore disponible dans les rayons abidjanais, l’ancien président de la commission de l’Union Africaine, Jean Ping, se livre à un révisionnisme renversant sur le dénouement des crises libyenne et ivoirienne.
Pour preuve, sur le dossier ivoirien, Jean Ping réserve ses dernières flèches à ceux qu’il a soutenus hier : Sarkozy, l’ONU et Ouattara, carrément dépeint sous des jours plus sombres.
Un « éclipse sur l’Afrique » sans doute, mais une gigantesque lumière sur ce qu’a été la crise libyenne qui donne son nom au livre du gabonais avec un sous-titre plutôt révélateur « fallait-il tuer Kadhafi ? ».Mais Jean Ping, président de la commission de l’Union africaine au moment des faits parle aussi de la crise ivoirienne avec un accent nouveau. En effet l’homme qui fut le premier à adouber Ouattara et à soutenir à fond tous les actes pouvant déstabiliser le président Laurent Gbagbo se prend désormais pour le balanceur de la confrérie. Il nie amplement son implication dans le cruel dénouement qui a sanctionné la longue crise postélectorale en Côte d’Ivoire, tout comme il se lave les mains du sang du guide libyen « assassiné par l’OTAN », selon ses propres mots. D’ailleurs, les critiques du gabonais visent essentiellement cet outil de défense des occidentaux. Parce que les Africains,eux, avaient choisi la carte de la paix et Jean Ping s’en explique: « Nous avons plaidé auprès des occidentaux pour un plan de paix totalement pacifique. Car pour nous, il fallait négocier l’établissement d’un système démocratique en Libye.Mais l’OTAN et les autres en ont décidé autrement.Leur unique objectif était de se débarrasser de deux ou trois personnes »,assène le gabonais dans différentes interviews qu’il a accordées, à l’occasion de la sortie du livre, à plusieurs médias africains et occidentaux.
Sur la Côte d’Ivoire, c’est sensiblement la même grille de lecture. Car l’Union Africaine, affirme Jean Ping, n’a jamais cautionné le bombardement de la résidence de Gbagbo. Le panel des cinq chefs de l’Etat, selon lui, l’avait clairement indiqué en nommant un nouveau médiateur que le camp Ouattara avait accusé d’être favorable à Laurent Gbagbo. Conséquence,le choix de la violence n’est donc pas celui de l’Union Africaine mais « de ceux qui l’ont défendu » comme Ouattara et Sarkozy. Première institution à avoir reconnu la victoire électorale d’Alassane Ouattara sans même prendre la peine de lire le rapport de ses observateurs, Jean Ping s’était ainsi avéré le soutien le plus important d’Alassane Ouattara durant les quatre mois de la crise postélectorale. Pour preuve,les différents rapports de l’UA qui ont sanctionné sa médiation ont été influencés par cette reconnaissance au pas de course de l’élection du président du RDR. Mais Jean Ping ne démord pas dans son livre puisque pour lui, l’escalade observée dans la crise ivoirienne avec la reprise des hostilités sur tous les fronts ne peut pas être reprochée à son organisation mais également au secrétaire général de l’ONU qui a « été instrumentalisé par la France ».
Sinon, assure-t-il, de concert avec le président de l’Afrique du Sud, le panel des cinq hefs d’Etat avait conclu l’une ou l’autre des deux positions suivantes. Soit la reprise de l’élection présidentielle ou la partage du pouvoir. Et comme dans la crise libyenne,l’ONU, la France et Ouattara que cette position n’arrangeait pas ont allumé les différents fronts.Ainsi, au moment où la procureure gambienne s’échine à faire croire que la guerre en Côte d’Ivoire est essentiellement due aux envies de pouvoir du président Laurent Gbagbo, la lecture des événements par l’ancien président de la commission de l’Union Africaine constitue un témoignage de premier choix. Son analyse montre surtout que le président Gbagbo a été obligé de faire face à la guerre. Cela dit, on peut aussi s’interroger sur les raisons pour lesquelles Jean Ping retourne sa veste contre ses anciens amis. Les cas de conscience n’existant pas en politique, on peut a priori comprendre qu’il fait de tels déballages parce qu’il veut se donner une nouvelle image de panafricaniste. C’est d’ailleurs un secret de polichinelle que l’ancien président de la commission de l’UA se prépare à être candidat à l’élection présidentielle gabonaise. Face à l’image d’homme de la françafrique qui colle si bien au fils d’Omar Bongo, Jean Ping veut opposer celle d’un homme expérimenté qui s’est battu pour un meilleur devenir du continent africain mais, malheureusement, dont la voix n’a pas été entendue dans les dernières crises majeures qui l’ont secoué. Interrogé d’ailleurs sur ses intentions présidentielles,Jean Ping a affirmé qu’il sera candidat mais il attend d’abord la décision de l’opposition.En effet, selon les observateurs de la politique gabonaise,l’ancien président de la commission de l’Union Africaine souhaite être le candidat unique de l’opposition. Ce qui, a priori,n’est pas du tout gagné ; le règne de l’ancien président gabonais étant aussi étroitement lié à la belle carrière de Jean Ping.
Sévérine Blé
Aujourd’hui