Le samedi 3 août 2024, le cardinal Jean-Pierre Kutwã a passé le témoin à son successeur, Mgr Ignace Bessi Dogbo, ancien archevêque de Korhogo, au cours d’une messe concélébrée par plusieurs évêques ivoiriens et étrangers. La cathédrale Saint-Paul d’Abidjan, où eut lieu la messe, vibra pendant quelques minutes lorsque l’archevêque sortant déclara qu’il fallait savoir partir pour que l’amour ne se transforme pas en haine.
Une grande partie de l’assistance applaudit spontanément en entendant cela mais pour quelles raisons se permit-elle de pousser des cris de joie? Qui le cardinal visait-il ou bien de qui et à qui voulait-il parler? Certains pensent que son message était destiné à Dramane Ouattara âgé de 82 ans et soupçonné de vouloir rempiler après 3 mandats. Pour d’autres, les mots du cardinal, qui firent le buzz sur la toile le même jour, s’adressaient aussi bien à l’actuel chef de l’état qu’à son prédécesseur qui fêta son soixante-dix-neuvième anniversaire, le 31 mai 2024 et qui compte se présenter à la présidentielle d’octobre 2025 si sa candidature est acceptée par le Conseil constitutionnel. D’autres encore soutiennent que le désormais archevêque émérite voulait simplement, à partir de son propre cas, inviter toute personne ayant exercé le pouvoir pendant un certain temps à prendre sa retraite afin que des bras plus jeunes et plus vigoureux puissent continuer le travail.
Je me place dans cette dernière catégorie. En d’autres termes, je me refuse à imaginer que l’appel de Mgr Kutwã à quitter la scène quand on a montré ce dont on est capable et que la force physique et mentale n’est plus au rendez-vous ne concerne que Ouattara et Gbagbo. Pourquoi? Premièrement, parce qu’il aurait été indécent de donner des leçons de détachement aux autres quand soi-même on est resté au pouvoir 4 ans après l’âge de départ à la retraite fixé en 1966 à 75 ans par le pape Paul VI. Que François ait prolongé le mandat de Jean-Pierre Kutwã importe peu car un évêque, qui se sent fatigué ou qui a des ennuis de santé, n’est pas obligé de demeurer à son poste. Est éloquent, à cet égard, l’exemple de Mgr Joseph Doré. Celui-ci quitta ses fonctions d’archevêque de Strasbourg en août 2006, un mois avant ses 70 ans, parce qu’il était surmené.
Deuxièmement, parce que, si c’est Ouattara qui était visé, l’orateur aurait dû tenir ce discours en 2015 ou en 2020. Il aurait fait preuve de courage à ce moment-là . Son appel aurait peut-être été entendu et notre pays aurait fait l’économie de souffrances et de destructions de vies humaines. Il est de faux braves comme il est de faux dévots, constatait Molière dans “Le Tartuffe”. Le vrai brave est celui qui affronte résolument le danger. Celui qui a été incapable d’affronter et de défier Ouattara en 2015 ou en 2020, années où le président du RDR était fort à l’intérieur et à l’extérieur, serait mal placé pour jouer les Django et les moralisateurs aujourd’hui devant un lion qui a perdu ses griffes et ses dents.
Non, l’appel de Mgr Kutwã ne s’adressait ni à Ouattara ni à Gbagbo mais à chacun de nous car tous, nous sommes enclins à abuser du pouvoir, avons tendance à croire que, sans nous, ce serait le chaos ou le déluge alors que l’Histoire nous enseigne chaque jour que nul n’est indispensable, que les hommes sages sont ceux qui sont en mesure de quitter les choses avant que les choses ne les quittent et que mettre son bulletin dans l’urne sans obliger celui qui a perdu l’élection à quitter le pouvoir, c’est amputer la démocratie d’une jambe.
En un mot, le cardinal parlait de lui-même mais aussi de chacun de nous et, en substance, voici son message: Quand on a donné le meilleur de soi-même à la tête d’une association, d’un groupe, d’un parti, d’une structure ou d’une communauté, on devrait, non pas chercher à s’accrocher, mais laisser la place à d’autres qui ne soient pas nécessairement de sa famille ou de son ethnie.
Jean-Claude Djéréké