Dans une déclaration du 23 juillet 2013, le Bureau Exécutif National de la CDPA-BT avait dit que l’accord intervenu le 9 juillet 2013 au terme des discussions entre la Coalition ARC-EN-CIEL, le Collectif Sauvons le Togo et le Gouvernement n’offrait aucune garantie d’élections transparentes. Et qu’il ouvrait pour le régime en place un boulevard lui permettant de continuer de se maintenir. Comme les précédents dialogues. C’est pour cela que notre Parti avait souhaité que les deux regroupements boycottent eux aussi les élections du 25 juillet 2013. Cette prise de position a suscité incompréhension et courroux chez ceux qui estiment qu’il faillait participer au scrutin « malgré tout ». Il importe de revenir sur les problèmes soulevés par ces élections.
Rappelons que les responsables du CST ont décidé d’aller aux urnes bien que les conditions de la transparence et de l’équité du scrutin ne soient pas réunies, au motif que le régime, par ses manœuvres, a voulu pousser les partis du Collectif Sauvons le Togo au boycott. Les responsables de l’ ARC-EN-CIEL eux aussi ont repris le même argument pour annoncer qu’ils ne boycotteront pas les élections. Et ils ont donc effectivement participé à la campagne électorale, qui s’est déroulée dans une ambiance festive, et puis au scrutin du 25 juillet 2013 sur fond de rivalités intestines entre eux.
Les responsables du CST avaient déclaré haut et fort, et à plusieurs reprises, par exemple le 19 janvier 2013 que « Nous n’irons pas aux élections sans les conditions de transparence » ; et ils avaient réaffirmé le 30 juin que « les élections seront transparentes ou elles n’auront pas lieu ». Comment comprendre, qu’après un semblant de dialogue, que le couple CST/ARC-EN-CIEL ait pu accepter de participer à ces élections qu’ils savaient déjà « truquées » ?
Les responsables du CST auront beau justifier cette participation par le fait que les manœuvres du régime ne viseraient qu’à « pousser les partis du Collectif au boycott », on ne peut pas y croire parce que l’argument est effectivement fallacieux. Il ne convainc pas.
Malgré les conditions de non transparence qu’ils ont dénoncées à juste titre, les partis du Collectif et de l’ARC- EN- CIEL ont accepté, après le mini dialogue des 6, 7 et 8 juillet 2013, de compléter la CENI. Ils ont ainsi envoyé James Amaglo (CAR, coalition arc-en-ciel), Atanshi Abalo Edem (ANC, collectif Sauvons le Togo) et Sibabi Boutchou (CDPA) occuper, in extremis, les trois places boudées par le CAR, l’ANC et la CDPA ; et ils ont prêté serment le 24 juillet 2013, juste la veille du scrutin, devant la Cour constitutionnelle lors d’une cérémonie exceptionnelle, à la grande satisfaction du régime.
Si les responsables du CST ont finalement accepté de rentrer dans cette CENI qu’ils ont pourtant reconnue déséquilibrée, et dont ils n’ont pas réussi à modifier la composition, c’est sans doute parce qu’ils ont jugé qu’il fallait le faire en ayant la certitude de gagner ces élections et « faire échec à cette entreprise machiavélique »…comme ils le disent, « avec la ferme détermination de mettre fin à l’immobilisme et au conservatisme… ». Ce qui est tout à fait normal, et même louable.
Mais si c’était vraiment là l’objet de leur participation, pourquoi les responsables du CST se sont -ils sentis obligés « d’ habiller les choses», c’est à dire camoufler leur participation par une explication insoutenable?
C’est sans doute que la véritable raison est ailleurs. Elle est à chercher d’abord dans l’esprit de compétition entre partis qui anime les leaders opposants, dans les propos de Jean-Pierre Fabre qui a accusé la Communauté internationale d’avoir « forcé les partis d’opposition à aller aux élections» , et puis dans ceux d’ Agbéyomé Kodjo qui dira plus tard qu’en réalité, « le pouvoir voulait s’assurer que les responsables du CST allaient participer aux élections avant de libérer certains détenus …» dans l’affaire d’incendie criminel
Dans tous les cas, qu’ils soient forcés ou pas, en acceptant de participer à ce scrutin alors que les conditions minimales pour des élections transparentes, justes, équitables ne sont pas réunies, les partis membres du CST (ADDI, ANC, MRC, OBUTS, PSR) et de l’ARC-EN-CIEL (le CAR, la CDPA, l’UDS-Togo, le MCD et le PDP) ont apporté une caution tacite aux conditions dans lesquelles le scrutin allait se dérouler.
Et le régime l’a bien compris qu’en ayant tout à gagner de leur participation, il en a profité, avec la complicité de la Communauté internationale, pour déployer tous les moyens possibles : Distributions de 50 millions aux partis et 20millions à chaque regroupement de partis, sous prétextes de financer la campagne des partis dans des conditions de non transparence que les bénéficiaires n’ignorent pas, afin d’obtenir leur participation. Pour avoir réussi son coup, le régime a déclaré, par la voix du ministre de l’administration territoriale, que « le processus a été consensuel et inclusif » et s’en est félicité.
A partir de ce moment, il était certain que le scrutin du 25 juillet serait une simple reconduction de l’Assemblée à majorité RPT/UNIR. Pourtant des voix s’étaient levées parmi les acteurs politiques, y compris celles de la société civile, pour dénoncer les conditions dans lesquelles les législatives allaient se tenir, et demander le boycott pour certains, le report de ces élections pour d’autres.
Dans une situation comme la nôtre où le Togo n’est pas une démocratie comme en Allemagne, en France, aux États-Unis et ailleurs, une situation où le régime fait tout pour garder le pouvoir, où des leaders de l’opposition accusés dans l’affaire des incendies criminels ne sont pas libérés, et le refus de revoir la composition de la Cour constitutionnelle et de la CENI, l’opposition aurait dû boycotter le scrutin du 25 juillet pour ne pas laisser le boulevard au régime RPT/UNIR qui voyait à travers leur participation, une caution inconditionnelle au processus vicié en cours.
Comme nous le disons à la CDPA-BT, le boycott était nécessaire dans ces conditions. Le boycott était justifié ici parce qu’il est une forme d’expression politique, et qu’il peut être un facteur de mobilisation positive. Il peut créer des situations inattendues et ouvrir de nouvelles perspectives pour l’opposition démocratique.
Il est regrettable que les partis membres du CST et de la Coalition ARC-EN-CIEL aient choisi de participer une fois de plus à ce processus vicié des élections législatives, comme ils en ont l’habitude, dans « n’importe quelles conditions ». Par ce choix, ils s’engagent désormais dans une aventure de cohabitation, voire dans un processus de collaboration qui ne dit pas son nom, et qui conforte une fois encore le régime dans sa démocratie grise.
Les résultats publiés par la CENI et confirmés par la Cour Constitutionnelle le 12 août 2013, cachent mal cette évidence et la situation inconfortable dans laquelle se retrouveront les partis du couple CST/ARC-EN-CIEL à l’Assemblée nationale avec 62 députés UNIR, 19 députés CST, 6 députés ARC-EN-CIEL, 3 députés UFC, et un indépendant parrainé, semble-t-il, par Sursaut Togo.
L’opposition conteste ces résultats et dénoncent cette mascarade électorale ; mais certains partis membres du couple CST/ARC-EN-CIEL refusent d’introduire un recours devant la Cour Constitutionnelle, au motif qu’elle est inféodée au régime. Et pourtant, c’est à cette même Cour qu’ils avaient demandé la validation de leurs candidatures.
En réalité, ces résultats, si contestables soient-ils, ne sont pas surprenants. Les responsables du couple CST/ARC-EN-CIEL le savent. Ils savaient que les conditions minimales pour des élections transparentes, justes, équitables n’étaient pas réunies. Mais ne se sachant pas en mesure de remporter dans ces conditions, ils ont choisi de « compétir » comme ils en ont l’habitude, en donnant à cette compétition électorale, une autre orientation.
L’objet de cette compétition électorale n’était plus de « prendre d’assaut l’Assemblée nationale » afin d’engager des réformes nécessaires, mais de mieux se positionner pour se régler les comptes entre eux, et montrer lequel parmi eux a le plus grand nombre de voix, et se présenter à l’opinion comme le plus grand parti d’opposition.
Cet objectif est atteint. Certains partis sont éliminés ; d’autres réduits à néant ; le CST et l’ARC-EN-CIEL sont à l’Assemblée. Mais les forces de l’opposition se sont-elles trouvées renforcées pour autant ? Elles sont, au contraire, bien plus affaiblies. Rappelons qu’en 2007, l’opposition (le CAR et l’UFC) avait 31 députés sur 81. Aujourd’hui elle se retrouve en situation encore plus défavorable dans la nouvelle Assemblée avec 29 députés sur 91.
Cela dit, la question que les togolais se posent désormais est de savoir par quel miracle les 29 députés de l’opposition, toute tendance confondue, pourraient -ils tenir leurs promesses de campagne sans se faire passer pour des menteurs? Comme s’était prévisible, ne se sont-ils pas tout simplement forcés de s’engager dans un processus de collaboration ou d’accompagnement du régime ? Comment vont-ils faire ? Vont-ils se démettre par « un acte hautement politique » pour protester contre les fraudes massives qu’ils dénoncent ? Ou vont-ils s’accommoder des privilèges liés à la fonction de députés, et accompagner tout bonnement le régime (ou « cogérer » le pouvoir avec le régime), comme l’a toujours souhaité le CAR, au risque de trahir ainsi les aspirations profondes au changement des Togolais ? Qu’en diront les électeurs qui leur ont fait confiance ? Vont-ils reprendre les marches hebdomadaires jusqu’en 2015 ? Et au-delà, pour quelle finalité ? Ou encore vont-ils s’entêter à poursuivre cette politique désastreuse que le courant majoritaire de l’opposition a conduite jusque-là ?
De toute évidence, il ne suffit pas de rajeunir les cadres de la classe politique pour créer un dynamisme de lutte ; il faut aussi changer de politique d’opposition. C’est fondamental. Et il appartient aux responsables du CST, de répondre sans complaisance aux questions posées plus haut, et tirer de la nouvelle situation toutes les leçons nécessaires pour conduire une politique d’opposition plus cohérente à l’avenir. Car le véritable changement démocratique et le développement de notre pays dépendent de cette exigence.
La question de la démocratisation de notre pays reste donc toujours d’actualité. Aller aux dialogues et participer aux élections toujours organisées dans les mêmes conditions de non transparence, juste pour se mesurer entre partis d’opposition ne règle pas les questions fondamentales de la grande masse de la population. Il faut réfléchir aux propositions responsables et alternatives en cours.
Paris, le 13.08. 2013
Pour la CDPA-BT
Emmanuel BOCCOVI
Membre du Comité Exécutif
Secrétaire de la Section CDPA-BT France.