À la place, je préfère les paroles d’un pasteur qui, je l’ai compris bien tard, n’avait peur que d’une chose : que ses mots à lui ne soient pur enchaînement de mots, de phrases, paragraphe par paragraphe, du feu qui fasse long feu. Alors, lui, connaissant la vraie puissance du Verbe, tel que défini dans la Bible, n’était nullement prêt à confondre ce Verbe avec une conversation de salon. Il disait : « Abui e be nyi mu le do na mi » (c’est une piqûre que je vous administre ). Aïe,aïe,aïe ! Qu’est-ce que ça fait mal !
Certains le redoutaient pour le mal que faisait la piqûre et fuyaient même sa paroisse. Parce qu’avec cette piqûre-là, on ne dormait pas facilement la nuit. D’autres comprenaient et n’arrêtaient pas leur réflexion à la piqûre elle-même, au mal immédiat et superficiel qu’elle faisait, mais pensaient plus profondément au bien que le produit injecté pouvait faire à tout l’organisme, mais aussi tremblaient cependant en y allant, et surtout au moment où il montait en chaire et ouvrait sa Bible. On l’appelait Pastɔ Abui ( Pasteur La piqûre ). Il disait pour se justifier : « Si je vidais moi-même ma parole, mes mots, mes mots d’ordre de leur puissance à changer les hommes, d’une manière ou d’une autre, que deviendrais-je ? Je vous pique parce que je suis moi-même mille fois piqué. Au point de ne pouvoir en dormir la nuit ».
Je me suis imaginé ce que Pastɔ Abui aurait dit à ceux qui voudraient changer notre société, mais ne sont pas constants, ne sont pas cohérents dans leur comportement quotidien avec ce qu’ils préconisent :« Buvez du champagne avec ceux qui boivent du champagne! Alors, buvez aussi du sang des enfants, pendant ces heures graves que nous traversons. Consommez des flammes dévorantes et avalez aussi des nuages de fumée avec les mangeurs de feu! Enivrez-vous avec ceux qui s’enivrent et plaisantez avec ceux qui plaisantent de choses dont on devrait pleurer. Puis, appelez cela dialogue, puisque c’est le mot au goût du jour. Et alignez encore des mots, des phrases, des déclarations, des mots d’ordre par kilomètres.
Ne enu mu gblɔ oa, efiɔ e la djae a? ( Lorsque la bouche se révèle impuissante à exprimer une situation, devra-t-on alors recourir à la hache ?). Je reviens sur ce proverbe qui montre bien le caractère tragique du verbe proféré : une situation tragique nous prend à la gorge. Certains peuvent s’en défouler en se soûlant, d’accord. Se soûler en attendant de se saisir de la hache pour nous débarrasser de ce qui nous obsède!
Lorsque notre parole, d’une manière ou d’une autre est affaiblie par notre propre faute, lorsqu’à trancher réellement entre ce qui est utile et ce qui ne l’est pas, ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas, ce qui éclaire nos concitoyens et ce qui les jette dans la confusion, ce qui illumine notre horizon et ce qui l’obscurcit, sa capacité est émoussée, alors devrons-nous finalement recourir à la hache ?
Je crois nos lecteurs suffisamment intelligents pour qu’on ne soit pas obligé de leur expliquer que la hache, tôt ou tard, pourrait réduire notre pays en morceaux alors que la parole partagée, le dialogue dans le sens où j’ai défini cette notion dans mon dernier article , a pour but de sceller notre véritable unité.
Sénouvo Agbota ZINSOU