Dr Diabacté Cheick répond à Pierre Moscovici

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« La décision du conseil constitutionnel ivoirien d’annuler sélectivement les résultats dans certaines régions et de déclarer Laurent Gbagbo m’a semblé illégale, puisque la loi électorale ivoirienne précise clairement qu’en cas d’annulations de votes supérieures à l’écart de voix entre deux candidats, un nouveau vote doit être organisé. »

Je tiens à vous dire un grand merci pour la sincérité avec laquelle vous avez exposé vos arguments pour justifier la remise en cause de la décision du Conseil Constitutionnel et le bombardement de l’État de Côte d’Ivoire par l’armée française, bombardement ayant occasionné le massacre des citoyens ivoiriens. Comme vous n’avez pas un titre foncier sur la sincérité, permettez-moi d’oser de la même sincérité pour vous répondre en espérant qu’une bombe ne tombera pas sur ma tête avec une résolution de l’ONU pour mutualiser votre forfait.

D’abord, sur la forme, permettez-moi de vous dire que vous n’êtes pas une juridiction d’appel au-dessus du Conseil Constitutionnel de la République indépendante, supposée souveraine de la Côte d’Ivoire. De même que je ne me permettrai jamais de juger avec autant d’assurance et d’aplomb une décision rendue par une juridiction française, j’estime qu’un tel jugement porte gravement atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire car  la république de Côte d’Ivoire, je vous rappelle, a accédé à l’indépendance en 1960 même si elle a dit OUI à la Constitution de la 5ème République qui faisait de la Côte d’Ivoire une sorte de « Département français sous juridiction française ».

Ensuite sur le fond : vous dites « qu’en cas d’annulations de votes supérieures à l’écart de voix entre deux candidats, un nouveau vote doit être organisé ». À ce niveau, j’ai l’impression que vous ne parlez plus des élections en Côte d’Ivoire mais certainement vous parlez des élections dans un autre pays. Je peux bien comprendre cette confusion car au même moment se déroulait dans « l’empire français » plusieurs élections. Quant aux élections en Côte d’Ivoire, permettez-moi de vous dire, avec ma petite intelligence (car visiblement vous prenez tous les intellectuels de la gauche ivoirienne pour des idiots et les juristes ivoiriens du Conseil Constitutionnel pour des vauriens) que seule la Commission Électorale Indépendante (CEI) est habilitée à donner les résultats provisoires qui sont ensuite transmis au Conseil Constitutionnel pour les résultats définitifs. Dans le dossier transmis au Conseil Constitutionnel par la CEI, figurait les résultats du comptage manuel et les résultats du comptage électronique, les plaintes du candidat GBAGBO et les différents rapports de police et d’ONG.

Le comptage manuel affichait clairement les résultats suivants : GBAGBO Laurent 53.87%, OUATTARA Alassane : 46.23%. Ce résultat était accompagné d’un contentieux sur les résultats du Nord du pays fortement compromis par plusieurs bulletins illégaux sur lesquels les membres de la CEI n’ont pas pu s’accorder.

Le comptage électronique affichait les résultats suivants : GBAGBO Laurent 51.33%, OUATTARA Alassane : 48.67% avec en annexe la liste des 2000 procès-verbaux frauduleux et la nature des fraudes mises en évidence par le logiciel de comptage électronique (nous vous transmettrons une copie de ces documents si vous exprimez le besoin).

Par ailleurs, je vous rappelle, pour votre gouverne, que sur la base des élections de 2000, le principe du comptage électronique et du comptage manuel a été imposé par la CEI pour pouvoir détecter en temps réel les procès-verbaux frauduleux.

Vous voyez donc qu’au vu des chiffres donnés par la CEI l’annulation des votes frauduleux n’était pas supérieure à l’écart des voix entre les deux candidats mais bien inférieure car Laurent GBAGBO était déjà en avance.

Évidemment votre erreur de jugement sur le Conseil Constitutionnel vient du fait qu’au lieu de prendre le dossier transmis au Conseil Constitutionnel par la Commission Électorale Indépendante, vous vous êtes contenté des résultats annoncés par France 24 au quartier général du Candidat Ouattara par un militant de son groupement politique fut-il Président de la Commission Électorale Indépendante. En effet, le fait que les résultats d’une élection présidentielle aient été annoncés au quartier général de campagne d’un des candidats et en dehors des délais règlementaires, n’a pas interpellé le grand démocrate que vous êtes.

Les mathématiciens diraient que vous ne travailliez pas sur le même domaine de définition que les démocrates ivoiriens et le Conseil Constitutionnel.

Je voudrais vous faire cette confidence, si vous me le permettez, pour vous dire que depuis un certain temps le comportement de certains hommes et femmes politiques français a exacerbé la susceptibilité de bon nombre d’ivoiriens. Donc de grâce, ne venez pas ajouter votre pierre, fut-il « moscovite » à l’édifice. Car, nous pourrions croire que vous êtes en service commandé.

De même que le mensonge d’État de Monsieur Jérôme CAHUZAC vous a fortement indigné vous et le peuple français, comprenez que le mensonge de la communauté dite « Internationale » sur les élections en Côte d’Ivoire qui a permis l’instrumentalisation de l’armée française et le massacre des ivoiriens,  indigne fortement le peuple digne de nègres dont j’appartiens.

Quand la France de Monsieur Nicolas Sarkozy fait bombarder, par son armée, la résidence du Président, le campus universitaire, le siège de la télévision et les camps militaires où résident des familles, cela est un massacre et non une protection de civils. Quand la même France de Monsieur Nicolas Sarkozy exhorte l’Union Européenne à interdire ses bateaux de venir dans les ports ivoiriens à travers les sanctions économiques, que vous dites fièrement avoir soutenues, cela fait des morts par manque de médicaments et non une protection de civils. Tout cela, sous des prétextes fallacieux que d’un : le Président Gbagbo a perdu les élections et de deux : qu’il fait tirer sur sa population à l’arme lourde.

Voyez-vous Monsieur Moscovici, hier encore, on nous jurait la main sur le cœur que Monsieur Saddam Hussein, ce dictateur, finançait Al-Qaïda et que son pays l’Irak était la 3ème armée du monde et que l’Irak de Monsieur Saddam Hussein représentait un danger car ce pays avait des armes de destruction massive capables de ravager une bonne partie de la terre. Aujourd’hui, Monsieur Saddam Hussein a été pendu. Les armes de destruction massive restent toujours introuvables et l’Irak enregistre plus de 100 000 morts depuis la mort de Saddam Hussein. Le protecteur des civils que vous êtes reste aveugle, sourd et muet.

Aujourd’hui, Monsieur Gbagbo est à La Haye et la Côte d’Ivoire ne va pas mieux voire pire. Amnesty International et Human Rights Watch ont sorti deux rapports accablant la gouvernance de Monsieur Ouattara avec sa justice des vainqueurs, ses exactions, ses emprisonnements, ses tortures et ses massacres. De tout cela, nous ne trouvons trace d’aucune expression d’indignation sur votre blog de socialiste démocrate, défenseur de la démocratie et des droits de l’homme, protecteur des civils.

Sachez que depuis l’esclavage, les africains connaissent maintenant les masques humanitaires que porte l’occident pour piller l’Afrique de ses ressources humaines et naturelles : civilisation, aide au développement, démocratie, droit de l’homme, protection des civils, lutte contre le terrorisme etc.

La nature sélective de vos lunettes démocratiques donne un nom à votre « blague » sur votre blog du 12/04/201 : « LA PROPAGANDE »

Au fait, vous avez omis de nous dire dans votre texte si vous souteniez le recomptage des voix suggéré par le Président Gbagbo comme vous l’aviez soutenu en Haïti au même moment et dans une crise électorale de même nature.

Je vous prie de bien vouloir m’excuser du retard pris pour la réponse. Vous savez dans ma vie de chercheur je n’ai pas le confort de la promptitude sur des sujets qui sont éloignés de ma vie professionnelle.

Dr Cheick DIABATE,

Chercheur, Université de Colorado, USA.

 

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