«En revenant de Kinshasa, passez saluer l’opposition à Abidjan»
Vous fûtes un des premiers, il y a bientôt dix ans, à lâcher médiatiquement et politiquement un président ivoirien qui était votre camarade à l’Internationale socialiste.
En 1999, Lionel Jospin, Premier ministre de cohabitation, parvenait à « empêcher » le président Chirac d’intervenir en Côte d’Ivoire en faveur d’Henri Konan Bédié, lors du putsch. Secrétaire général du PS, vous avez souscrit aux barbouzeries de Villepin intoxicant l’armée ivoirienne en 2004. À la consécutive destruction de la flotte ivoirienne décidée par Chirac.
Pendant qu’Alliot-Marie se déshonorait en mentant jusque devant les familles des soldats français morts à Bouaké. Pendant que la France refusait d’honorer les Accords de défense et prenait de fait parti pour la rébellion. Le PS n’était-il pas en mesure d’envoyer des émissaires au Centre et au Nord de la Côte d’Ivoire, sous contrôle rebelle durant huit ans, ne serait-ce que pour se forger une opinion propre et en tirer une ligne politique autre que suiviste ? Les Ivoiriens ne le méritaient-ils pas ?
Ces mêmes zones, CNO, ont été durant la dernière présidentielle le théâtre de bourrages d’urnes, de violences et même de morts, que vous refuserez de considérer, convaincu que vous étiez d’une victoire de Ouattara, dont l’annonce, plus importante que tout à vos yeux, eut lieu dans son QG et en l’absence des médias nationaux ivoiriens.
Pourquoi, M. Hollande, sous votre mandat, les dirigeants socialistes français se contentaient-ils d’aller faire la bamboula à Abidjan ?
(Quand ce n’était pas pour y fourguer des contrats de communication). La diabolisation médiatique battit un plein qui allait durer jusqu’en avril 2011. « Charniers de Yopougon » (invalidés pourtant par RSF et la LIDH). « Escadrons de la mort » (jamais prouvés par rien ni par personne).
« À chacun son Français » (jamais entendu mais tant de fois rapporté). « Des viols de Blanches par centaines » (pour une seule plainte, jamais instruite). « L’Ivoirité », agitée par tous les cuistres feignant d’ignorer que la question avait été soulevée par l’adversaire de Ouattara qu’était Bédié, et non par Gbagbo. « La xénophobie » : procédant évidemment de l’ivoirité et renforcée par une « islamophobie » aussi infondée que fut opportun le coming out musulman d’un Ouattara dépeint par les ambassadeurs français comme un neurasthénique plus spiritueux que spirituel et que vous même accueillîtes avec un petit-déjeuner en plein ramadan sans que cela ne le tourmente. Tout ceci, par camaraderie socialiste ou par souci de la vérité, vous auriez pu au moins en douter.
Jamais vous n’eûtes un mot de condamnation ni contre l’homme des multinationales et du « monde de la Finance » qu’est par excellence Alassane Ouattara, ni contre les rebelles massacreurs au-delà du crime de guerre que dirigeait son « fidèle » Guillaume Soro.
Jamais. Les tueries de gendarmes à Bouaké (enfants y compris, aurait ajouté Brasillach). Les massacres ethniques ciblés de l’Ouest depuis 2002, en particulier à Duékoué, qui culmineront en mars 2011 et auxquels votre silence confère un écho tragiquement persistant.
La partition du pays, consacrant les trafics et la vente illégale de cacao via le Burkina Faso (…). Le recours aux enfants soldats (attesté par France 2 début avril 2011) et l’envoi aux champs plutôt que sur les bancs.
La catastrophe sanitaire, alimentaire et scolaire que fut le contrôle rebelle, au Centre et au Nord, si l’on en croit l’Unicef en février 2011.
La presse françafricaine a glosé tout son saoul, spéculé et conjecturé à satiété. Après que Claude Bartolone eût reçu son homologue Guillaume Soro, vous avez fini par enfin recevoir à Paris le vôtre ; celui que, par décret du Conseil National de la Presse de Côte d’Ivoire, on ne peut plus appeler Alassane Dramane Ouattara à Abidjan, sous peine de suspension de parution, après garde à vue en hors d’oeuvre et interrogatoire musclé en apéritif.
La presse ivoirienne d’opposition [subit des sanctions répétées]. Les fondateurs historiques et l’ensemble des actuels dirigeants du FPI, principal parti d’opposition, sont aujourd’hui en prison. À La Haye. À Abidjan. Dans un des goulags du Nord de la Côte d’Ivoire de Ouattara. On a rapporté que vous aviez grondé et gourmandé Ouattara sur le respect des droits de l’Homme, l’impunité, la liberté de la presse (toutes respectées sous Gbagbo, RSF le rappelait le 25 juillet dernier), l’indispensable dialogue avec l’opposition qu’incarne le FPI, en vue d’enfin envisager le retour des exilés, de l’intérieur comme de l’extérieur et d’installer peut-être la démocratie en Côte d’Ivoire.
Bravo !
On a rapporté aussi que vous aviez beaucoup hésité avant d’accepter de vous rendre à Kinshasa au prochain Sommet de la Francophonie. Kabila aurait été trop mal élu. Jean-François Kahn, dans un livre récent – et bizarrement jamais dans la presse -, a osé l’accablant parallèle avec Ouattara. On imagine mal qu’il ne vous ait pas traversé l’esprit. Vous avez tranché. Vous y serez.
En repartant de RDC, vous pouvez encore le mettre sur pied d’ici là, au lieu de rentrer directement sur Paris, faites donc un détour par Abidjan. Et obtenez de Ouattara ce que vous réclamez par principe aux autres : pouvoir rencontrer l’opposition. Profitez-en pour demander à Ouattara et à Soro des nouvelles de Michel Gbagbo. Vous n’avez pas oublié le courrier de sa mère, Jacqueline Chamois, citoyenne française tout comme lui, réclamant sa libération, lui dont le seul crime est d’avoir Laurent Gbagbo pour père.
Grégory Protche
Dictateur Adjoint(Rédacteur adjoint) du Gri-Gri international
Poseur de questions