Le 14 avril dernier, et Faure créa l’Unir (Union pour la République) sur les cendres du parti de son père. On peut légitimement s’interroger sur les raisons stratégiques qui l’ont amené à accoucher du frère jumeau du RPT (Rassemblement du peuple togolais) plus de quarante ans après la naissance de celui-ci. Au risque de mettre dans une transe virevoltante les mânes paternels au mausolée de Pya, pour Bamnante Komikpime, interrogé par l’AFP la dissolution du RPT s’« impose aujourd’hui, car le monde a beaucoup évolué » et que « Nous devons rompre avec l’immobilisme. Nous sommes arrivés aujourd’hui à la croisée des chemins et nous devons aller de l’avant, au lieu de rester inactifs ».
La réponse du député erpétiste interpelle de savoir si ce n’est pas le dictateur décédé en février 2005 que son fils et ses amis sont en train d’ébouillanter une seconde fois. Car, diantre, comment le RPT qu’on nous a toujours présenté comme un parti avant-gardiste sur tous les plans, peut-il végéter dans « l’immobilisme », et sa direction et ses barons et ses militants se découvrir subitement « inactifs », alors qu’ils ont une réputation indiscutable et consolidée dans la corruption, la violence et le mensonge ? N’est-ce pas une insulte même à la personne d’Eyadéma, le « Grand Visionnaire Intrépide » et aussi à Edouard Kodjo, le co-concepteur et le co-père fondateur du RPT?
Si on abandonne la ritournelle rhapsodique si caractéristique au RPT, pour revenir au titre de l’article, ce qui est remarquable est que les Gnassingbé ont toujours eu une aversion morbide et une détestation profonde pour non seulement les partis politiques mais aussi pour le terme même de parti. Le RPT a fonctionné, publiquement, comme un parti, de surcroît unique, mais officiellement il n’est pas un parti : d’où le terme Rassemblement pour le désigner. Les Togolais dans leur grande majorité ignorent que le RPT a été créé en 1969 sur l’idée de Jacques Foccart, bras droit de de Gaulle, dans la logique de la Françafrique, deux ans après l’éjection de Nicolas Grunitzky, lequel, sûr de la qualité de son « amitié pour la France », se croyait « incoupdétatable ». L’appellation RPT est calquée à la lettre près sur le sigle RPF (Rassemblement du peuple français), le parti de de Gaulle, créé en avril 1947, l’une des formations politiques la plus colonialiste et la plus fermée à l’indépendance sous la IVè République. Il avait pion sur rue dans les colonies françaises au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Gabon. Il est certain que les Togolais n’échappaient pas au RPF si le nom de leur pays avait été par exemple « Fotiland » ou « Fauregoland ».
Le RPF gaulliste a connu plusieurs mues au cours de son histoire devenant, en alliance ou non avec d’autres formations, successivement UNR (Union pour la nouvelle République) pour soutenir la candidature de de Gaulle à la présidentielle de 1958, UD-Vè République (Union démocratique pour la Vè République) en novembre 1967, et surtout en juin 1968 UDR (‘Union pour la défense de la République’, développement abandonné en 1971 au profit de ‘Union des démocrates pour la République’). En décembre 1976, Jacques Chirac transforme l’UDR en RPR (Rassemblement pour la République), lequel se « caméléonne » en 2002 en UMP (‘Union pour la majorité présidentielle’ abandonné pour un autre développement ‘Union pour un mouvement populaire’) en attendant de nouvelles et inévitables reconfigurations du paysage politique français qu’annonce la présidentielle du 6 mai.
Il apparaît à travers ses différentes incarnations partidaires depuis 1947, au sortir de la guerre, que le gaullisme n’a jamais adopté le mot parti, mais « rassemblement », « union » ou « mouvement ». Pour lui en effet, les partis politiques ne sont que d’effroyables horreurs qui portent en eux la division, la haine et la « lutte des classes » comme le rappelle Jean Guiloineau dans son livre « La double mort d’une République ordinaire : pamphlet citoyen » (Les Ed. Mutine, 2011, 109 p.). Le gaullisme a en lui quelque chose d’africain ou en inversant le « quelque chose d’africain » porte en lui du gaullisme qui voit fondamentalement la société holiste, homogène, solidaire et le peuple uni voire unique sans clivages, sans conflits, sans tensions, une mer sans vagues. Le co-père fondateur du RPT, Edouard Kodjo, est aussi dans la même veine quand il créa son UTD (Union togolaise pour la démocratie) transformée en CPP (Convergence patriotique panafricaine). Rappelons que l’un des barons du gaullisme, le très sulfureux sinon mafieux Charles Pasqua, qui connaît plus d’une ficelle du système judiciaire de son pays, et autant du système Eyadéma dont il est très proche, avec son ami Philippe de Villiers, donna vie en 1999 au feu follet du RPF sans grand résultat. Le parti gaulliste pouvait faire sienne cette pétition de principe, mille fois ressassée, du RPT créé pour rassembler « tous les citoyens dans un et même creuset national, en faisant taire les dissensions du passé ». Et l’Unir fait du copier-coller d’un vieux papyrus du RPT quand il proclame viser « à offrir aux Togolais un nouveau cadre d’expression politique qui leur permettra de fédérer toutes les énergies, au-delà des clivages politiques, sociaux et religieux, en vue de bâtir un Togo nouveau dans l’union, la concorde nationale et la prospérité ».
Le plus grave est que le RPT a vidé l’indépendance et la souveraineté nationales de tout contenu substantiel. Symbole édifiant de cela, la date de l’indépendance, l’hymne national et le nom de Sylvanus Olympio ont été pendant longtemps purgés du discours officiel et la révision cette posture par Faure n’a jamais été synonyme de son adhésion franche. Dans la nuit des 12 aux 13 janvier, ne renouvelle-t-il la geste paternelle en tirant sur un taureau au camp ? Aujourd’hui, Gilchrist Olympio, devenu son allié « indéfectible » (adjectif très usuel au RPT), peut l’assister dans cette nouvelle eucharistie. Le RPT, et maintenant l’Unir, qui est en fait son faux nez, prolonge l’époque coloniale au Togo comme l’outil prolonge la main. Depuis 1963, il remplace avantageusement le PTP de Nicolas Grunitzky, rarement vilipendé dans les discours erpétistes. Et derrière les revendications des Togolais de la démocratie au début des années 1990, ne faut-il pas lire en filigrane la demande d’une seconde décolonisation du pays ?
A force de vouloir occulter les conflits qui font l’essence même d’une société, le principal étant leur régulation, au final, on a débouché en France sur une monarchie constitutionnelle avec un général de Gaulle dans la peau du « père libérateur » et du « guide » que le style de gouvernance de Sarkozy incarne et caricature à l’excès, et au Togo à une monarchie biologique. Car dans les colonies, miroir grossissant de la métropole, on préfère faire les choses en grand, en grossier, pour prouver au maître ce dont on est capable. A l’instar de l’UMP que ses contempteurs redéfinissent comme « Unis pour manger le pouvoir », l’Unir de Faure est à peine du réchauffé destiné à rassembler tous les « podologues » ou « ventrocrates » éparpillés dans des partis réels, alimentaires ou imaginaires en vue des prochaines échéances électorales. La transhumance, gymnastique prisée au sein de la classe politique, a de beaux yeux à faire devant Unir !
Mais il y a plus de quarante ans que ça se saurait quand l’Unir proclame urbi et orbi que « La consolidation de la relance économique, l’amélioration des conditions de vie des populations togolaises et en particulier de ses couches les plus vulnérables seront [notez le futur !]au cœur de l’action du parti ». L’auraient su les paysans, les citadins, les étudiants de Kara et de Lomé, les diplômés chômeurs, les retraités sans pension, les soldats sans grade, les commerçants rackettés, les déçus et les frustrés, bref tout le Togo, avec leurs milliards de milliards de neurones.
Bordeaux, le 1er mai 2012
Comi M. Toulabor
LAM-Sciences Po Bordeaux