Aujourd’hui ta plume a perdu de son impétuosité. Elle ne gronde plus. Elle est dévirilisée et pacifiée. Elle a perdu sa véhémence et son venin d’antan, lequel venin t’a valu de solides amitiés dans les cercles françafricains. Elle ne tombe plus en transe, Venance. Finie cette virulence folle ! Normal ! Laurent Gbagbo a été capturé et jeté en prison par la belle et blanche France, au nom de son amour incommensurable pour le peuple ivoirien.
Venance, ta plume n’ose pas regarder le visage hideux du nouveau régime en face. Elle est devenue aveugle, sourde, et aphone. Frappée d’une cécité sélective, elle ne voit que Gbagbo et encore Gbagbo ; même jeté dans la geôle « negrophobe » à la Haye, il te hante au point que tu ne peux plus écrire sans l’évoquer, sans l’invoquer.
Venance, le pays est devenu normal, paisible. Les Ivoiriens sont devenus plus heureux. Ils respirent l’air bonifiant de la liberté longtemps vicié par Laurent Gbagbo ! Pourquoi tomber encore en transe, alors que tout baigne ? Surtout que tu es devenu Directeur Général. J’ai vu que ton sourire n’est plus forcé, il est devenu plus automatique, spontané.
Mais dis-moi, Venance, comment te sens-tu dans tes nouveaux habits de DG du plus grand quotidien ivoirien ? Tu mérites bien ce poste tout de même ; en tout cas mieux que JB Akrou, mieux que Honorat de Yedagne. Eux, ils ne le méritent d’ailleurs pas, puisqu’ils n’ont jamais soutenu ton nouveau mentor.
Oui Venance, te voilà DG. Mais, au prix de combien de mensonges, de diffamation, de calomnie ? Des articles amers, irrévérencieux, injurieux. Le Président Laurent Gbagbo est réduit à Laurent, pendant que la première Dame se résume à Simone. Il est vrai que la fin justifie les moyens. Tu es DG aujourd’hui. Il est vrai que tu aurais pu être nommé ministre. Si des analphabètes ont pu être ministres, pourquoi toi qui es si intelligent et instruit ne serais-tu pas ministre ? Avec un peu de patience, tu y arriveras, sûrement. Encore un bon petit paquet d’articles pour noircir Gbagbo et applaudir la France et Ouattara et tu y arriveras.
Depuis que Laurent Gbagbo n’est plus assis dans le fauteuil présidentiel, tu vois bien que le pays connaît du succès. Le racket est fini, la fluidité routière est une réalité. Nos policiers et gendarmes corrompus ont été remplacés par ceux qu’on appelle poétiquement les FRCI. Eux, ils sont républicains. Eux, ils sont des forces citoyennes. Eux, ils sont bien formés. Eux, ils sont plus honnêtes. Eux, ils sont beaux avec leurs treillis n’zassa, séduisants comme leurs tenues anémiées. Eux, ils ne rackettent pas, mais volent et organisent des braquages dignes des westerns venus du pays de l’oncle Sam. Les FDS rackettaient les chauffeurs, les FRCI eux, ils rackettent les passagers, coupent les routes et égorgent ceux qui font la résistance. C’est encore mieux que sous le régime de Gbagbo. Le progrès est net, Venance !
La liberté de la presse est assurée. (Notre voie et Le Temps ont vu leur siège saccagé). Des journaux connaissent régulièrement des suspensions. Des journalistes, pour des écrits jugés aux antipodes des vues de ton mentor sont jetés en prison. C’est vraiment le retour à la démocratie ! Pourtant tu avais écrit d’innombrables papiers repus de haine sous le régime de la Refondation sans que jamais tu ne sois conduit à la MACA, où ont séjourné dernièrement Etou et Sivori. Vraiment sous votre pouvoir, le pays connaît la liberté d’expression.
Il paraît que l’université est détruite physiquement. Les cités universitaires ont vu leurs reins troués par l’éclair des obus aveugles. Les deux cités d’Abobo sont occupées par nos soldats républicains…L’université d’Abobo est devenue un camp militaire où vivent nos soldats républicains. On y prend des cours de braquage, paraît-il. Normal ! A bas l’université des étudiants ! A quoi bon aller à l’école ? A quoi bon sauver l’Université ? Nous n’en avons pas besoin. D’ailleurs, ton mentor l’a fermée et il a bien fait! De toutes les façons, c’est là que prospèrent les fescistes, ces étudiants brouillons au service de Gbagbo. Par centaines, ils ont été écrasés comme des cancrelats pendant cette crise rouge, broyés comme du manioc… Mais, que vaut une vie quand elle croit au combat de Gbagbo ? Et d’ailleurs, pourquoi une université alors même que celui qui a entre les mains les solutions à tous nos problèmes est au pouvoir ? Du travail, il y en aura à gogo. 1000 agents de la Sotra vont être jetés à la rue. Tous les concours qui ont eu lieu sous l’ère Gbagbo ont été annulés : concours de police, de gendarmerie, d’instituteurs adjoints, d’adjoints aux chefs d’établissement, d’entrée à l’ENS…Vous avez dit continuité de l’Etat. Oh, ce n’est pas grave. La solution est là. Des apprentis sont promus policiers. Des chauffeurs de gbakas conduisent les bus. Des dockers sont nommés gendarmes. Sans concours. Discrètement. Des enseignants bénévoles dans la zone CNO sont recrutés comme instituteurs et pourquoi pas comme des professeurs de collège. Surtout que la ministre de l’éducation nationale a déclaré qu’il n’y aura pas, pour cette année, de « récrutation » de nouveaux enseignants.
Les FDS ont perdu une petite partie de leur salaire (50 000). Cette somme est vraiment insignifiante, n’est-ce pas ? Les FDS doivent s’estimer heureux si elles sont en vie. Ça leur apprendra de soutenir Gbagbo, celui qui après l’accord de Ouaga, a transformé leur « haut les cœurs » en accessoires de salaires.
Venance, m’attends-tu ? La CI et la grande France se sont réconciliées. Grâce à Sarkozy, notre papa international, notre pays est devenu le bébé chéri de toutes les institutions et organisations du monde. On nous donne de l’argent ! Des milliards, des tornades de milliards. C’est vrai que c’est crédit, mais crédit tue pas, n’est-ce pas ? Si on ne peut pas payer, nos enfants payeront.
Gbagbo, lui a voulu nous affranchir des crédits. Il nous a même conditionnés à nous libérer du franc CFA, cette merveilleuse monnaie qui engraisse le trésor français… Et puis, la défense de notre pays est désormais aux mains de la France, au terme de la signature d’un accord de défense. Je suis convaincu que tu as applaudi de tes quatre mains. Nous sommes des nègres et nous sommes incapables de nous défendre par nos propres forces.
Venance, notre Bernard Dadié a été molesté, désacralisé, humilié. C’est le plus grand de nos écrivains. Grand prix littéraire de l’Afrique francophone. Ecrivain pluridimensionnel, il est à la fois romancier, nouvelliste, poète, dramaturge, chroniqueur, conteur. Mais, il a commis la faute de soutenir Gbagbo. Alors, il peut être bien profané, souillé, « dé-symbolisé » sans que ton œil ne cille.
Venance, entends-tu les pleurs de ces femmes girondes wê éventrées dans les montagnes ensanglantées de l’ouest du pays ? Duékoué le martyr ! Petit-Duékoué hier, grand Douekoué aujourd’hui. Des cadavres calcinés, des vieillards amputés, des jeunes troués par les rafales haineuses. Pourquoi en faire une affaire alors que tu es devenu DG ? Laissons ta plume dormir de son sommeil de brave.
Tout va bien au pays. Gbagbo est en prison à Korhogo…pardon à la Haye. Simone croupit dans les geôles d’Odienné. Affi est dans les goulags de Bouna. Le petit-métis-de-Michel se familiarise avec l’univers carcéral. Tout baigne, d’autant plus que tu es DG !
Hier, un paysan a été molesté, car il portait dans sa besace un tricot frappé de l’effigie de Gbagbo ! Sacrilège ! Avant-hier un jeune homme téméraire a vu ses deux mâchoires brisées car il écoutait l’ode à la patrie. Et alors ? Venance est DG de Frat-mat ! N’est-ce pas le plus important ? Lis ce qu’a écrit un intellectuel africain : « Qu’il se trouve des Africains pour chercher à plaire à des Occidentaux, c’est leur droit. Cela fait gagner quelques tapes condescendantes sur l’épaule et un peu d’avoine aux ânes. Et nous sommes nombreux sous les tropiques à avoir été dressés à de telles âneries ». Nègreries !
Hervé Akanza Le Filament