Une grosse absurdité, c’est ainsi que l’on pourrait qualifier le coup d’État militaire qui vient de renverser le Président Amadou Toumani Touré au Mali. Notre Analyse.
Confronté depuis plusieurs mois aux attaques des combattants rebelles du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et d’autres rebelles touaregs parmi lesquels on note la présence massive d’hommes lourdement armés venus de Lybie, le Mali se trouvait déjà dans l’œil du cyclone avec la prise par les assaillants de plusieurs villes du nord du pays. C’est dans ce contexte tendu qu’est survenu le putsch du jeudi 22 Mars 2012.
Le Capitaine Amadou Sanogo, à la tête d’un comité militaire dénommé Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’État (CNRDRE), vient ainsi de prendre le pouvoir à Bamako, accusant le Gouvernement de s’être montré incapable et incompétent dans la lutte contre le terrorisme au nord du pays et dans la mise à la disposition de l’armée d’un matériel adéquat pour la défense du territoire national.
Le Capitaine Amadou Sanogo et ses compagnons de la Junte ont donc dissous toutes les institutions de la République, décrété un couvre-feu et procédé à de nombreuses arrestations avant de promettre la mise en place d’un Gouvernement d’union nationale et un futur retour des civils au pouvoir.
A l’évidence, la chute du Président malien apparaît d’abord et avant tout comme une conséquence directe de la déstabilisation de la Lybie par la coalition hétéroclite Otan-Aqmi et de la brutale désintégration du régime de Mouammar Kadhafi. Ces faits, comme on le sait, ont très gravement accentué l’insécurité dans la vaste région du sahel transformée désormais en une véritable poudrière où règnent en maîtres absolus contrebandiers, voleurs, assassins, mercenaires, terroristes et malfrats de tout acabit .
Mais ce putsch se signale également et surtout par son caractère très absurde dans la mesure où le Mali, présenté d’ailleurs à juste titre comme l’une des grandes démocraties naissantes en Afrique, s’apprêtait à aller aux Élections présidentielles en avril 2012 pour trouver un successeur au Président Amadou Toumani Touré qui, obéissant scrupuleusement aux dispositions de la Constitution malienne, ne se présentait pas pour un autre mandat, contrairement à ce qui se passe au Sénégal ou ailleurs sur le Continent.
Pourquoi donc, dans ces circonstances si particulières où l’intégrité du territoire national se trouve menacée, l’armée malienne n’est-elle pas restée soudée et mobilisée autour du Président sortant pour défendre l’alternance démocratique et a-t-elle choisi d’engager le pays dans l’aventure des coups d’État?
Pourquoi n’avoir pas attendu le 29 Avril 2012, date du prochain scrutin présidentiel pour laisser sortir le Président actuel jugé » incompétent » et permettre au peuple souverain du Mali de porter librement et démocratiquement à sa tête un Président qui serait à ses yeux plus apte et plus capable de défendre la Nation?
Pourquoi a-t-on préféré faire entendre le langage des armes au lieu d’attendre le verdict des urnes ? Pourquoi n’avoir pas fait confiance en un débat électoral clair, transparent, simple, et en même temps exigeant pour poser les problèmes essentiels et évoquer les solutions éventuelles devant le peuple qui ferait son choix ? Comment construire la démocratie et l’État de droit en Afrique si à tout moment des humeurs, des ambitions et des instincts guident constamment les actions ? Autant de questions que l’on continuera de se poser.
Il faut cependant souligner qu’au miroir de cette situation trouble que vit le Mali et à la suite des douloureux évènements qui ont auparavant déchiré la Côte D’Ivoire, l’on voit en réalité comment la France, à travers des marionnettes tantôt civiles, tantôt militaires, continue de torpiller les processus démocratiques en Afrique en phagocytant par des actions de déstabilisation les initiatives porteuses, empêchant ainsi les peuples africains de prendre véritablement leur destin en mains.
Il semble d’ailleurs certain que la France voyait d’un très mauvais œil la transition pacifique à la démocratie qui était en train de s’opérer progressivement et avec un réel succès au Mali, en plein cœur de l’Afrique de l’Ouest, dans cette zone stratégiquement importante qu’elle tient à garder sous son influence.
Au moment où le régime d’Alassane Dramane Ouattara installé à coups de canons en Côte d’Ivoire continue de se débattre dans la confusion et tarde encore à se consolider, la France avait aussi une peur bleue de voir s’installer au pouvoir au Mali un Dirigeant politique de Gauche pas trop distant de Laurent Gbagbo, comme précisément le charismatique Ibrahim Boubacar Keita ( IBK ) que tout le monde donnait déjà gagnant.
Les Élections présidentielles maliennes d’avril 2012 constituaient en fait, selon Paris, une grave menace potentielle et devaient à tout prix être court-circuitées pour éviter qu’après Laurent Gbagbo, un autre Président réfractaire n’émerge et ne vienne remettre en cause les nombreux systèmes d’exploitation néocoloniaux mis en place dans la région.
En chassant donc le Président en place, en dissolvant toutes les institutions et en mettant ainsi un coup d’arrêt au processus électoral en cours, la Junte militaire joue à fond la carte de la protection des intérêts français et semble déjà manœuvrer pour obtenir le soutien de la France pour une éventuelle confiscation du pouvoir d’État. En évoquant d’emblée les besoins militaires en moyens matériels et logistiques pour défendre le pays, les putschistes ouvrent aussi la porte à l’installation au Mali de la base militaire française dont ne voulait pas entendre parler le Président Toumani Touré.
Les mutineries, les rébellions armées et la menace terroriste que représente Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) pourraient donc continuer d’être désormais utilisées dans d’autres pays par la France pour servir ses intérêts géostratégiques, se débarrasser des Présidents gênants et positionner ses serviteurs dociles au détriment de la démocratie et des intérêts des peuples africains.
La France n’a d’ailleurs jamais été pour une vraie démocratisation des pays africains et a toujours fait obstacle aux divers processus.
Lorsque l’on parcourt ce qui est considéré comme le pré carré africain, que constate-t-on en effet ? En 1990, au Sommet de la Baule, le discours du Président français François Mitterand avait suscité un réel espoir chez les démocrates africains.
De façon très claire, il était indiqué que dorénavant, seuls les pays qui s’engagent dans un processus démocratique sincère et viable bénéficieraient de l’aide de la France. Un an plus tard, c’est – à – dire en 1991, alors même que sur le Continent africain les forces du progrès commençaient à avoir raison des forces rétrogrades, le discours de Chaillot est venu jeter le trouble dans les esprits.
Le Président français déclarait maintenant que chaque pays devait avancer à son rythme dans le processus démocratique ! Les raisons de cette volte-face de Monsieur Mitterand qui entra dans l’Histoire à la Baule pour en ressortir brusquement ( et peut-être brutalement ) à Chaillot sont multiples et multiformes. Mais le résultat on le connaît : Des parodies d’élections avaient été organisées ici et là à l’époque pour maintenir au pouvoir des régimes autocratiques face auxquels leurs peuples avaient largement exprimé leur ras-le-bol.
Au Mali ( de Moussa Traoré), au Niger ( de Seyni Koutché puis d’Ali Saïbou), au Congo (de Denis Sassou N’Guesso), à Madagascar ( de Didier Ratsiraka) et au Bénin ( de Mathieu Kérékou ), il y avait eu accélération du processus démocratique uniquement parce qu’il s’agissait de régimes qui naguère, affichaient leur sympathie pour le Communisme et qui avaient flirté de façon plus ou moins prononcée avec le Bloc de l’Est, sans pour autant cesser de tendre leur gamelle de mendicité à la France.
Le soutien français à la poussée démocratique dans ces pays n’avait donc été qu’une stratégie politique visant à gommer du pré carré africain tout ce qui restait encore « rouge ». Les Conférences Nationales dont on avait fait un cheval de bataille dans ces pays n’auront en réalité été que des opérations de toilettage idéologique soutenues et financées par la France qui a voulu, à travers elles, s’assurer des nouvelles orientations politiques.
A l’opposé, partout où la France était sûre d’avoir ses ouailles, le velléités démocratiques des peuples avaient été étouffées dans l’œuf et dans le sang par les dictateurs, avec la bienveillante complicité de l’Hexagone.
Cela avait été valable dans de nombreux pays africains, du Togo ( de Gnassingbé Éyadema) au Cameroun ( de Paul Biya), en passant par le Gabon (d’Omar Bongo), le Burkina Faso ( de Blaise Compaoré), la Mauritanie ( de Ould Taya), et la liste est longue .
Mais l’arnaque démocratique a toujours été claire : Soit il s’agissait d’élections truquées que le parti au pouvoir organisait en faisant fi des revendications de l’Opposition, avec des fraudes honteuses et des manipulations grossières ; soit il s’agissait d’élections pipées d’avance qui se terminent inéluctablement par des irrégularités flagrantes, des proclamations farfelues de résultats avant même que la Commission chargée de cette tâche n’ait fini les décomptes. Le pire est que les opposants peuvent très souvent être arrêtés, bastonnés, humiliés, incarcérés, torturés, tués ou libérés selon le bon vouloir des roitelets qui gouvernent, sans que la France ne lève le petit doigt si ce n’est pour protéger ses intérêts, une fois ceux-ci menacés .
C’est précisément le cas aujourd’hui au Mali .Tenez, la France encore et toujours elle, au lieu de condamner fermement le putsch et exiger le retour à l’ordre constitutionnel appelle plutôt à l’organisation d’élection. Le coup étant à ses yeux complices déjà consommé. Vous avez tout compris !!!
La démocratie est de loin une concession faite par les conservateurs français à l’Afrique en tenant compte de l’environnement international. Sinon le chemin reste le même: en Afrique ni démocratie ni totalitarisme pour ne pas faire communiste mais autoritarisme;
L’autoritarisme, c’est de tolérer de temps à autre une opposition dont on sait qu’à tout moment on peut la réprimer sans conséquence sur le pouvoir en place et avec le soutien des pouvoirs en France. La démocratie en Afrique se présentant ainsi comme un processus éphémère au profit de pouvoirs généralement issus de coup d’Etat, des pouvoirs vassalisés.
Les Africains comprendront-ils donc un jour que les processus démocratiques sur le continent ont été cyniquement piégés depuis la colonisation et surtout depuis les indépendances ? A quand l’éveil d’une réelle conscience africaine pour une véritable libération ?
Les putschistes maliens devraient répondre à ces questions et au-delà d’eux, tous ceux qui continuent de ramer à contre-courant de l’Histoire en se rendant complices des puissances impérialistes dans leurs actions de déshumanisation permanente des peuples africains.
Océane YACÉ
Politologue, Monaco
oyace84@yahoo.fr