Monsieur Gerry TAAMA, de Kara, je vous écris[1]
Je vous écris cette lettre pour que vous la publiiez sur votre blog, et dans les journaux, car vous, on vous connait. Vous êtes venus à plusieurs reprises nous faire des formations à Kara, et comme vous-même vous avez fréquenté à Kara, je sais que vous connaissez nos problèmes, et si vous parlez, les gens vont vous écouter un peu.
Je ne sais pas par quoi je vais commencer. Bon, moi, je suis étudiant en troisième année à l’UK. Mon propre frère a eu sa maitrise de géographie depuis quatre ans. Actuellement, il aide quelqu’un à faire Zemidjan[2] les samedi et dimanche à Bassar. Nous sommes quatre chez notre père. Ma grande sœur s’est mariée à un béret rouge à Kara ici, mon petit frère est en terminal, et la benjamine est en troisième. Nous sommes de Kabou. Notre maison est à l’entrée du village, en venant de Kara. Mon père est cultivateur, ma mère est ménagère, une fois par semaine, elle prépare le Tchakpa[3] pour vendre au marché. J’ai fréquenté jusqu’au BAC à Bassar, et j’étais parmi les meilleurs de ma classe. Au Bac 2008, j’étais parmi les cinq premiers du lycée, en série D, avec 10,25 de moyenne. Vous allez dire que cette moyenne n’est pas forte, mais dans notre classe, sur 45 élèves, nous étions 8 seulement à réussir, et j’étais le seul à passer d’emblée. En 3e, j’avais eu 15 de moyenne, pour aller en seconde, mais au lycée, les cours sont plus compliquées, et nous n’avons pas de livres, aucune annale pour préparer les examens. Si quelqu’un amène une annale, tout le monde se jette dessus et au bout d’un trimestre, ça devient un chiffon.
Monsieur Gerry TAAMA, la première question que je vous pose, c’est de me dire si avec 10,25 de moyenne là, je peux avoir bourse de l’excellence. Parce que ceux qui sont à Lomé, et les enfants de riches, eux, au BAC, ils ont 14 et 15 de moyenne. Ce n’est pas qu’ils sont plus intelligents que nous, mais ils ont les annales, des répétiteurs, ils ont le courant à la maison le soir, ils ont internet. Il faut demander au ministre si avec ma moyenne là, je peux avoir la même bourse que celui qui a 14. Et mes compagnons qui ont passé oral, mais qui sont dans les dix premiers de mon lycée. Ils vont avoir la bourse ou pas ?
Bon, je passe. Comme je le disais, voici trois ans que je suis à l’UK. Avant, monsieur Gerry, nous on se disait que le jour où on sera étudiant, ça va être le paradis. Pour venir à Kara, c’est ma sœur qui m’a envoyé un peu d’argent pour le taxi, et quand je suis arrivé, j’ai passé trois mois à dormir chez elle, dans le salon parce qu’on ne trouvait pas de chambre dans les cités. Ici à l’UK, nous sommes plus de 10 000 étudiants, je ne sais pas combien de chambres il y a mais c’est moins de 1000. Si tu vas à la cité même, tu vas voir comment les camarades vivent là bas, toi-même tu vas avoir les larmes aux yeux. Ils sont parfois quatre dans une pièce où deux personnes ne peuvent même pas dormir. C’est grâce à tranche d’aide là, 35 000F que j’ai loué une pièce à 3000F à Dongoyo, avec une ampoule, pour rester et aller au campus. Donc, M Gerry, depuis trois ans, c’est avec les aides là (80000 par an), que je paie le loyer, que je me nourris, que je me déplace, c’est même dans ça que je paie l’écolage de mon petit frère qui est au lycée. M Gerry, dites-moi, est-ce que le ministre là, il réfléchit même ? Comment il peut vouloir supprimer les aides. Il veut qu’on abandonne les études, après avoir fait souffrir nos parents qui se sont privés de tout pour nous scolariser. C’est l’Etat qui dit qu’il faut aller à l’école, après, non, pardon, je ne voulais pas m’énerver, mais est-ce que le ministre là même a ses enfants à l’université ici ?
Ici, tu dois te lever à 4heures pour courir au campus, pour espérer trouver une place dans la salle. Si tu veux une place assise, il faut partir à 2heures. Si tu attends le bus, c’est que tu vas rester dehors. À partir de la deuxième année, tu deviens nomade, parce que tu ne sais jamais dans quelle salle tu vas suivre le cours. Le délégué se promène et cherche les salles, dès qu’il trouve une de libre, il faut courir vite, sinon, une autre faculté va la prendre. Parfois, il y a devoir et vous ne faites rien parce que les feuilles manquent, ou il n’y pas de polycopies. Pour faire les recherches, hum, M Gerry. On dit que nous avons une bibliothèque. Si vous-même vous rentrez dedans, vous allez sortir plus bête même, car les livres qu’on trouve là bas, c’est des vieilleries qu’on a jeté en France et quelqu’un a ramené pour nous donner. Ils disent qu’ils ont mis un cyber à l’université. Si vous allez dans le cyber là, pour ouvrir votre boite même, vous pouvez allez chez vous préparer la pâte manger revenir, ce n’est pas encore ouvert. Comment on peut travailler dans de telles conditions, M Gerry.
Ils disent que nous avons cassé des choses. Hum ! Nous n’avons encore rien cassé. Ce qui s’est passé ici à Kara, c’est le commencement. Comment vous pouvez comprendre que nous, vos enfants, vos petits frères, on nous impose quelque chose qui va détruire notre avenir, nous on manifeste pacifiquement, et on enferme nos délégués, on nous envoie les militaires nous gazer. Tout ça a commencé avec notre président, M Tchagbélé. Moi, je n’ai jamais vu un homme méchant comme ça. Il n’y a pas de restaurant universitaire. Tous les étudiants mangent au bord de la route. Même ici, sur le campus, il y a une école primaire (je vous jure que c’est vrai) et en récréation, on se retrouve avec les petits à acheter Ayimoulou.
Alors qu’il n’y a pas de restaurant, lui, il se promène partout pour dire que le restaurant fonctionne. M Gerry, tout ce que je vous ai décrit comme condition de vie là, est-ce que vous pouvez dire que l’étudiant à Kara vit bien ? Lui, partout où il va, il dit que tout va bien à Kara. Depuis trois ans, on demande qu’on le change, mais on ne sait pas comment il a attaché les gens, personne ne le touche. Mais M Gerry, l’homme là est trop mauvais. Un de nos professeurs est mort ici, et les étudiants ont demandé le bus pour accompagner le corps, il a refusé. On lui a même dit, donne le bus, on va mettre le carburant, il a refusé. Est-ce qu’un homme peut être méchant comme ça, même contre les morts ?
Quand le ministre a parlé à la télévision disant que les aides seront supprimées, nous, on a décidé de manifester pacifiquement. Les deux premiers jours, tout s’est bien passé. Le troisième jour, les militaires ont enfermé nos délégués. Le préfet était venu négocier avec nous au campus, on l’a attrapé là bas. Des camarades ont attrapé M Tchagbélé aussi. Hé, M. Gerry, vraiment, les gens là, ils ne sont rien quoi. Si vous voyez comment les étudiants les obligeaient à dire certaines choses et eux aussi ils répétaient, on ne dirait pas que c’est les gens là qui nous narguaient tous les jours. Chuan ! ce ne sont même pas des garçons. Heureusement qu’on a libéré nos délégués, sinon, ils allaient voir ce qu’ils allaient voir.
On dit que nous avons cassé les choses. Honnêtement, moi, même, je ne suis pas pour les casses, parce que ce qui appartient à l’État, c’est pour nous tous. Mais c’est qu’ils nous ont cherchés. Au quatrième jour, nous, nous étions sortis pour aller au campus pour manifester encore, et là, il y a avait des militaires, bon, des gendarmes et des policiers partout. Ils ont commencé à nous balancer des grenades lacrymogènes. Certains camarades se sont mis en tenue rouge, couleur de danger, et c’est là que la bagarre a commencé. Hum, les policiers là, ils pensent que nous sommes à Lomé où ils poursuivent les gens et ils courent.
Ici, nous sommes des garçons, des vrais. On s’est organisé, et nous-mêmes on les attaqué. Hé, M Gerry, c’est ici que j’ai vu sodja courir aussi. Bon, en vérité, c’est eux qui ont cherché, parce que s’ils nous avaient laissé aller au campus, on allait faire notre marche tranquillement, mais comme ils ont tout bloqué, à la fin, ce ne sont plus les étudiants qui manifestaient, mais c’est tout Kara qui était sorti. C’est là que la casse a commencé. Moi, je ne pense pas que ce sont les étudiants qui ont cassé, parce qu’avant on faisait nos manifestations et personne ne cassait rien, mais quand ils ont commencé à arrêter les gens, la population est rentrée dedans. Il fallait voir, les bonnes femmes nous versaient l’eau sur le corps à cause du gaz. Des gens même nous ont donnés carburant pour allumer les pneus. Les enseignants mêmes étaient avec nous, et nous avons fait sortir les élèves des lycées et collèges, qui nous ont suivis.
J’entends les gens dire que ce sont les politiciens qui nous manipulent. Il faut demander à ces gens là que lorsqu’on meurt de faim, il faille attendre que quelqu’un vienne vous manipuler avant de chercher à manger. Je suis d’accord que des gens ont profité de la pagaille pour faire aussi du bruit. Mais il faut vous renseigner chez ceux qui sont à Kara ici, est-ce quand avant on manifestait pacifiquement, quelqu’un appelait le nom de Kpatcha ou insultait Faure. Les gens de la ville sont rentrés dans les manifestations et tout a dérapé. Mais même avec ce que les gents ont écrit et dit, il faut que nos dirigeants se posent des questions. Trop, c’est trop.
M Gerry, vous savez, c’est ici, à Kara que le RPT fait les meilleurs scores lors des élections. Après, quand on a fini de les élire, ils reviennent ici, même bonjour vous les saluez, ils ne répondent pas. Pendant la campagne, ils viennent verser l’agent en pagaille ici. Un mois après, même 25F tu cherches pour manger tu ne trouves pas. Moi, je vous demande, est-ce que c’est bien que nos frères, ceux-là mêmes qui ont fréquenté cadeau dans ce pays, nous réservent un tel sort ? Ils viennent nous dire chaque année que si les opposants viennent au pouvoir, on va renvoyer nos frères du sud, même si je reconnais que nos opposants là, ils ne valent même pas la peine, eux-mêmes, ils font quoi pour nous ? On est à Kara ici, tu finis l’université, tu ne trouves pas de travail. Tu ne peux même pas descendre à Lomé parce que tu ne connais personne là bas. M Gerry, si vous revenez à Kara, je vais vous montrer le nombre de chômeurs avec des diplômes universitaire ici, vous allez pleurer quoi.
Bon, M Gerry, je vais m’arrêter ici. Si vous publiez ma lettre, il faut me dire, je vais monter ça à mes amis. Dites à ceux qui disent que nous sommes des bandits que les étudiants de Kara ne sont pas des bandits. On a toujours manifesté pacifiquement. Mais quand on nous attaque, nous aussi, on répond. C’est dommage pour tout ce qui a été cassé là, mais s’ils avaient pris l’argent de gaz lacrymogène là, ils auraient payé les aides à quelques étudiants, et on n’aurait rien cassé. Dites bien à tous ceux qui disent qu’ils veulent supprimer l’aide aux étudiants de Kara que s’ils font ça, c’est tout le campus qui va se vider, car sans les aides, on va rentrer au village. Mais comme on n’a rien à faire au village, nous, on les attend ici.
[1] J’ai reçu cette lettre d’un étudiant de Kara. Elle a atterri dans ma boite, et je ne suis absolument pas en mesure de dire si l’identité rattachée est réelle. Ce serait le cas d’ailleurs que je ne le dévoilerai pas. Je me suis permis, partout où il semblait nécessaire, d’y faire quelques corrections.
Texte proposé par Gerry Taama