Togo : La brute et les truands : un scrutin électoral pour rien [Par Jean-Baptiste K]

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« L’hégémonie coûte cher et ne rapporte rien »  Zhou Enlaï, ancien premier ministre de la Chine

« Il faut imaginer Sisyphe heureux » suggère Albert Camus qui magnifie l’homme de labeur incessant devenu « supérieur à son destin ». En Afrique la dialectique est moins idyllique. La tradition nous enseigne que se faire mordre deux fois par le même serpent dans le même trou, est signe de sottise ou de masochisme. L’opposition togolaise s’est encore laissée surprendre par l’ingénierie électorale entièrement maîtrisée par le pouvoir en place. Une véritable absurdité.

Face à la forfaiture du changement constitutionnel illégal, elle a préféré se ruer sur l’os électoral, avec le sot pari d’une hypothétique victoire électorale. Las ! Lomé 2 s’est encore octroyé la part du lion avec 108 sièges de députés sur 113 et le plaisir malsain d’une gifle humiliante infligée à l’opposition. Elle hérite de miettes jetées aux « chiens », incorrigibles participationnistes dont il faut remercier le zèle ! A minima. 5 sièges sont distribués en nombre inversement proportionnel à la critique du hold-up constitutionnel. Le silence d’ADDI lui vaut 2 sièges et en prime, le titre de chef de file de l’opposition. L’ANC, la DMP et le FDR l’ont un peu ouvert. Ils n’auront droit qu’à 1 siège chacun. L’expertise juridique du Pr Wolou a dérangé. La punition est immédiate. Le PSR n’aura rien. M. Wolou a bien compris la leçon. Brusquement aphone, il rase désormais les murs.

La énième compromission de l’opposition ne manque pas de susciter surprises et interrogations. On y décèle néanmoins des messages essentiels du peuple à ceux qui prétendent le représenter.

D’abord, il faut observer que le principal message du peuple n’est pas adressé à Lomé 2 qui persiste dans son être. Les bourrages d’urnes, les fraudes du régime, les violences électorales, les achats de consciences et de vote,….tout l’attirail de la confiscation du pouvoir est connu et attendu. On peut parler de différence de degré, mais pas de nature. Soutenir le contraire, c’est faire prendre au peuple des vessies pour des lanternes. Ne reste plus que la nécessité de chasser ce régime.

Le peuple s’est adressé prioritairement à l’opposition formée par une grande part de « composants » avec le régime. Il lui reproche de ne pas être au niveau de l’enjeu de libération du pays ; d’être gangrenée par la cupidité et le cynisme qui conduisent à une légitimation servile de la dictature ; d’être enfin des branches mortes qui pompent la sève de l’arbre sans lui apporter aucune vitalité et qu’il faut élaguer d’urgence. Il crie sa frustration et marque son refus du chemin de changement par les élections qu’on lui propose. La persistance dans cette voie sans issue est une faute de collaboration à la perpétuation du régime. Le peuple n’entend plus confier son destin à des leaders qui s’y engagent. A contrario, Il donne raison à la stratégie que prône Tikpi Atchadam qui recoupe exactement le désir profond du peuple. Il faut en prendre acte.

Ensuite et plus surprenante est l’insoutenable légèreté de l’acteur politique togolais et son profond mépris des aspirations du peuple. Comment les légitimateurs du régime ont-ils pu penser que ceux qu’ils ont aidé à frustrer de leur victoire électorale de 2020 en refusant de participer à la juste revendication du peuple, feraient corps avec leurs traîtres ? Comment ont-ils pu oser inviter ceux qui pleurent encore ses hérauts, à voter d’un élan unanime pour leur prospérité politique ? Comment ont-ils pu oublier que la dépouille mortuaire du président élu en 2020 attend encore dans son exil de recevoir une sépulture digne de son rang ? Parier sur l’amnésie d’un peuple qui sait confusément que ses hérauts ne seraient sans doute pas morts s’ils avaient bénéficié de l’appui de toute l’opposition, est une pure folie. L’inconscient collectif sait que s’ils étaient restés au pays, avec l’appui de l’ensemble de l’opposition, Monseigneur Kpodjro et M. Agbéyomé auraient pu conduire le pays dans la voie du changement. Le peuple n’a point oublié le coup de grâce schismatique de la DMP. Vivace demeure dans la mémoire collective, l’orgueilleuse prétention de ceux qui voulaient qu’un prélat nonagénaire vienne comparaître au pied de leur grandeur, implorer leur pardon avant d’appuyer la revendication de l’éclatante victoire de 2020.

En réalité, l’opposition présente les mêmes tares que la dictature qu’elle prétend combattre. Le même autisme les conduit à choisir pour le peuple une stratégie de lutte dans laquelle les intérêts personnels dominent. Le « composant » politique partage avec la dictature le même mépris du peuple et oublie presque toujours la modestie qui fait les grands hommes d’État. Jamais il n’écoute le peuple, considéré comme du bétail électoral. Ce schéma délétère, qui empêche l’opposition de réaliser la nécessaire union pour constituer un bloc crédible face à la dictature, arrive à épuisement. Le peuple s’est profondément transformé. Véritable détenteur de la souveraineté, il veut à présent à être le moteur de l’action et déterminer la stratégie de lutte. Il faut pouvoir entendre ce message, se mettre au service exclusif du peuple ou passer derrière le rideau. Il est clair pour le citoyen que ceux qui luttent pour leur émancipation finissent toujours par gagner. L’incertitude ce n’est pas qui gagnera. C’est le temps où le peuple gagnera et le prix qu’il faudra payer.

En définitive les arguties d’une certaine opposition du passé et du passif deviennent une insulte à l’intelligence collective. Vous avez dit hubris ? Les ténors de l’opposition ne veulent surtout pas se poser les bonnes questions et n’arriveront donc pas à tirer les bonnes conclusions. Face à la débâcle manifeste, ils essaient de pointer la faute d’un régime fraudeur et boulimique. Comme s’ils ne le savaient pas. On pousse le cynisme jusqu’à indexer la moralité des facilement corruptibles. Certains rendent responsables la prise de parole des non participationnistes à des élections dont les leviers sont entièrement détenus par un pouvoir dictatorial. Cet argument de bon sens est désormais criminalisé. Cerise sur le gâteau, certains « « composants » s » originent la défaite actuelle dans le boycott de 2018, en faisant fi du raz-de-marée électoral de 2020, que ces mêmes acteurs n’ont pas daigné accompagner. En adoptant l’inversion accusatoire, cette opposition persiste à dire qu’elle n’a aucune envie d’accéder au désir profond du peuple. Elle ne veut présenter aucune excuse parce qu’elle ne reconnaît aucun tort. Elle nous dit in fine qu’elle est prête à continuer le sacrifice du peuple au profit de ses intérêts égoïstes. On continue à marcher sur la tête en invitant le peuple à suivre, tout en le culpabilisant.

Il faut balayer cette classe politique disparate, incapable de s’unir, en même temps que le régime de Lomé 2. Le problème de fond est que le leader politique togolais est apparu dans les années 90, pour un peuple usé par une dictature féroce, comme un messie. Il s’est donc comporté comme la force motrice de l’action populaire. La complaisance du peuple le conduira à oublier qu’il est juste « le point à l’allongée du bras ». Il a toujours ignoré en réalité sa faiblesse structurelle, car la force réside dans tout le corps social qui la transmet au point à travers le bras tendu pour l’action. Agir contre le peuple, c’est risquer sa puissance. Le peuple n’écoute que le leader politique qui lui reste soudé. Alors seulement, il pourra l’entraîner et catalyser ses énergies.

L’opposition et le régime obéissent au même patron françafricain. Elle n’a que les moyens qu’on lui octroie et se déploie dans les limites qui lui sont fixées. Un véritable jeu de rôle réglé comme du papier à musique. Le peuple est conscient du cynisme de ceux qui le prennent en otage à travers un double pont psychologique : s’il participe au processus électoral, il légitime le régime ; s’il s’abstient, il laisse un boulevard à UNIR. La suprême perversité de cette opposition scélérate est qu’elle est convaincue que tant qu’elle occupera la place, le peuple ne se soulèvera pas au risque d’offrir sa révolution au réceptacle indigne qu’elle a conscience d’être. Quel que soit le choix, il nous profitera toujours se disent les tartuffes. Le silence du peuple nous assure les subsides du régime ; sa révolte nous apportera le pouvoir. Telle est l’équation. Lomé 2 l’a compris et l’exploite habilement en octroyant 5 sièges aux leaders les plus en vue de l’opposition participationniste. .

Le peuple togolais a profondément changé face à une classe politique de l’opposition restée dominée par les méthodes des années 90. C’est comme un médecin qui face à une maladie nouvelle applique une thérapeutique ancienne. De bonne foi peut-être, puisqu’il ne maîtrise que celle-là. La conséquence est qu’il ne guérit pas le mal mais l’aggrave et risque de tuer le malade. Le peuple togolais dit non. Il ne veut pas mourir de l’amateurisme de ses thérapeutes.

La politique ne se fera plus jamais contre le peuple. Tel est l’avertissement sans frais de ce scrutin et l’abîme spéculaire qu’une certaine classe politique du pacte faustien n’a pas les moyens d’affronter. Elle doit quitter la scène avant que la scène ne la rejette.

Le peuple a posé le bon diagnostic. Son thérapeute émergera bientôt. On le reconnaîtra à coup sûr à la qualité de sa prophylaxie pour l’avenir de la nation.

Jean-Baptiste K.

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