Essai sur l’origine de faaba [Par Zakari Tchagbalé]

0
Une fois l’an, à une période bien déterminée et la même nuit, les Tem procèdent à une retraite aux flambeaux dans chaque localité. C’est ce qu’on appelle « nimini lɔɔ ». Cette retraite ouvre la voie au faaba qui oblige les parents maternels à offrir un cadeau symbolique à leurs neveux et nièces. Tout le monde est donneur de faaba et tout le monde en est receveur. D’où vient cette pratique ?
Le faaba est l’aboutissement d’une suite de coutumes qui couvre l’ensemble des trois strates de peuplement à savoir les Tem nba, la strate de base, les Mɔɔla, la strate moyenne et les Malʊwa, la strate finale.
Apport des Tem nba
Entre le 12e et le 13e siècle, les Tem quittent le pays Gurunsi dans l’actuel Burkina Faso pour échapper aux chasseurs d’esclaves de l’empire du Ghana (3e-13e siècle). Ils prennent la direction du sud vers la chaîne de l’Atakora. Ils enjambent les Lamba puis les Kabiyè qui les ont devancés et s’installent sur un territoire de cinq montagnes que sont Alédjo, Koroŋa, Malfakassa, Fazao et Bassar. Comme les autres Gurunsi, les Tem pratiquent le matriarcat, un système de filiation où le père de l’enfant n’est pas son père géniteur mais le père de sa mère. L’enfant n’hérite pas de son père géniteur, il hérite de son père maternel. Il en hérite le trône dans le système royal, les terres en cas d’appropriation individuelle du foncier et tous les autres biens.
Pour l’enfant, ce père unique et légal est « isenuu ». La racine de ce mot est « se ». On la retrouve sous forme de « ze » dans « nizenuu », nom par lequel l’enfant désigne la mère de sa mère, c’est-à-dire l’épouse de son isenuu. Le isenuu et la nizenuu, quant à eux, appellent leur enfant « yidabʊʊ », qu’il soit fille ou garçon. Une des racines présentes dans yidabʊʊ est « yi » qui renvoie à l’idée de ‘petit’ qu’on a dans « yɔɔ » pour qualifier ce qui est petit. La contribution des Temnba est donc une filiation de type matriarcal et une parenté triangulaire yidabʊʊ-isenuu-nizenuu. Elle conditionne la suite.
Apport des Mɔɔla
Environ quatre cents ans après leur installation dans le périmètre des cinq montagnes, les Temnba sont rejoints par les Mɔɔla, lesquels pratiquent la filiation patrilinéaire. Chez les nouveaux arrivants, le père de l’enfant n’est pas celui de sa mère mais son géniteur direct. C’est de lui que l’enfant hérite. Il hérite tout de lui.
Les Mɔɔla sont arrivés en pays Tem en réfugiés. Pratiquants du culte des ancêtres, ils ont fui la menace de mise en esclavage des non-convertis à l’islam des conseillers de Tombouctou dès la prise du pouvoir par Askia Mohamed. Or la plupart des conversions étaient jugées non-sincères. Pour échapper à l’esclavage, il fallait quitter l’empire. Dans la fuite à la sauve-qui-peut de tous les non-musulmans hors du Songhaï, les Mɔɔla ont dû embarquer plus d’hommes que de femmes. Arrivés chez leurs hôtes Tem ils ont dû négocier fort pour trouver une femme à chacun de leurs membres mâles. La meilleure offre était de renoncer à épouser leurs membres femelles et de mettre celles-ci à la disposition des autochtones pour qu’en retour leurs hôtes leur permettent tous de prendre femme chez eux.
Dès lors, deux types de filiation entrent en concurrence : la filiation matriarcale des Temnba et celle patriarcale des Mɔɔla. A l’instar de ce qui arrive souvent quand des étrangers s’installent, les Mɔɔla ont un ascendant culturel sur leurs hôtes Temnba. De sorte que toute action culturelle effectuée par les Mɔɔla est prise pour modèle à imiter. C’est ainsi que la filiation patrilinéaire a pris le dessus sur la filiation matrilinéaire. Pour autant le matriarcat n’a pas disparu. Il a été mis au second plan. Le père géniteur appelé « caawʊ » dont l’enfant hérite n’a pas réussi à faire disparaître le isenuu. Désormais l’ancien héritage matrilinéaire va devenir symbolique. Il est réduit à trois taxes annuelles : taxe de iseniti évaluée à dix cauris (saalaa), taxe de lit (« kɩgbalawʊ liidee ») à toute épouse de isenuu et taxe de la mère évaluée à neuf cauris (keeniire). Le saalaa, le keeniire et le kɩgbalawʊ liidee sont le souvenir d’un héritage anciennement réel.
L’échange réciproque des femmes à épouser ouvre la porte à l’exogamie. Mais celle-ci est encore limitée aux voisins. Mais les voisins en découvrent les bienfaits. Le fait de n’être plus que de simples voisins mais de devenir des beaux-pères et des beaux-fils, des belles-mères et des belles-filles améliorent les rapports. De simples voisins, on devient des beaux-parents avec la naissance d’une empathie réciproque. Et si on ne se limitait pas à nous les voisins, et si on étendait cela à nous tous qui parlons la même langue et avons les mêmes coutumes ? se demandent les voisins. Pour y parvenir il faut transformer la masse informe de la population en un groupe de clans : ceux qui se reconnaissent un ancêtre commun vont constituer un clan autour du nom de l’ancêtre ; ceux qui sont membres d’une même ethnie accueillie en pays Tem, vont constituer un clan autour du nom de l’ethnie ; un corps de métier devient un clan autour du nom du métier. Les membres d’un clan étant des frères et sœurs, ils ne peuvent s’épouser entre eux. Du coup, tous les clans tem deviennent les beaux-parents des uns et des autres. Et chaque clan doit des saalaa, des keeniire et des kɩgbalawʊ liidee à chacun des autres.
Apport des Malʊwa
Au milieu du 18e siècle les nouveaux Temnba, résultant de la coalescence entre les strates Tem et Mɔɔla, accueillent les Malʊwa, une nouvelle strate. Les Malʊwa sont un ensemble d’ethnies (Songahaï, Zarma, Dendi, Haoussa, Peulh) liés par leur ancienne appartenance à l’empire Songhaï et par la pratique de l’islam. Malʊwa (‘les Lettrés’) est le nom que les Mɔɔla avaient donné à l’intelligentsia tombouctienne quand ils vivaient dans le Songhaï. Nominativement la future troisième strate Tem comprend des Traoré, des Touré et des Mendè. A la mort (2 mars 1538) du dernier grand empereur du Songhaï, Askia Mohamed, les dissensions internes causées par sa succession ont affaibli l’empire. Le Sultanat du Maroc en profite pour l’attaquer afin de s’emparer de ses mines d’or. C’est sous la domination du Maroc que l’empire Songhaï a pris fin en 1591.
Pour des raisons festives, religieuses ou politiques, plusieurs peuples dans le monde organisent la marche aux flambeaux de nuit et une fois l’an. Les colons marocains devaient pratiquer ce rite. Ils l’auraient cédé aux Songhaïens car cette pratique a été introduite en pays Tem par ceux qui vont en constituer la troisième strate. Cette retraite aux flambeaux était-elle suivie le lendemain par une cérémonie de don appelée « faaba » dans le pays d’origine ? Je n’en sais rien pour l’instant. Toujours est-il que depuis l’arrivée des Malʊwa en pays Tem la retraite aux flambeaux marque l’ouverture de l’exigence par le yidabʊʊ de son héritage symbolique à ses parents maternels. Désormais on parle moins de saalaa, de keeniire et plus de faaba.
Conclusion
Sans le matriarcat des Temnba, le patriarcat des Mɔɔla n’aurait pas trouvé une filiation concurrente à déshériter, puis à transformer l’ancien héritage en héritage symbolique. Sans l’exogamie et sa généralisation par la création des clans de frères et sœurs, le triple héritage symbolique, le saalaa, le keeniire et le kɩgbalawʊ liidee ne se serait pas étendu à tout le pays. L’héritage symbolique étant réclamé une fois l’an, le nimini lɔɔ des Malʊwa en a situé le moment d’ouverture de sa réclamation ; les mêmes Malʊwa ont réuni les trois impôts sous un seul nom, faaba.
Zakari Tchagbalé
Partager

Laisser une réponse