TV5 : Monsieur le Président bonjour.
GBAGBO Laurent : Bonjour madame.
Et merci d’accorder cet entretien à TV5 Monde. Comment allez-vous depuis que vous avez recouvré la liberté ?
Je me porte mieux. On est toujours mieux quand on est en dehors des prisons que quand on est en dedans. Donc je me porte bien.
Depuis le 15 janvier 2019, date de vote acquittement, vous vous terrez dans le silence. Pour quelle(s) raison(s) avez vous accepté de parler aujourd’hui ?
Vous savez depuis mon arrestation en Avril 2011, je n’ai pas parlé. Sauf lors des interrogatoires devant la Cour pénal internationale. Et quand j’ai été acquitté, j’attendais d’être dans mon Pays avant de parler. J’attendais d’être en Côte d’Ivoire avant de parler. C’est pourquoi depuis je ne parlais pas. Mais aujourd’hui, la date du 31 Octobre approche, je vois que les querelles nous amènent dans un gouffre. Et en tant qu’ancien président de la République, en tant qu’ancien prisonnier de la CPI, ancien homme politique connu, si je me tais ce ne serait pas responsable. Donc j’ai décidé de m’exprimer pour donner mon point de vue sur ce qui ce passe en ce moment en Côte-d’Ivoire. Et donner ma direction. Celle qui me semble bonne.
Pour la Présidentielle du 31 Octobre, vos partisans ont déposé votre candidature qui a été rejetée. Est-ce que vous avez été surpris par le rejet de votre candidature parce que, vous ne remplissiez pas toutes les conditions ?
Nous étions 44 candidats. On a rejeté 40 candidatures. Vous voyez un peu. Donc… Je trouve ça un peu enfantin. Je pense que dans un pays, ceux qui veulent être candidats doivent être candidats. On ne doit pas multiplier les obstacles sur la route des candidatures. Je ne conçois pas comme ça la politique.
Vous estimez que certains candidats ont été sciemment écartés de la présidentielle ?
Bien sûr. Bien sûr. Mais bon, c’est pour tout ça que j’exprime aujourd’hui.
Depuis l’annonce de la candidature d’Alasane Ouattara pour la Présidentielle du 31 Octobre, pour briguer un troisième mandat, la Côte d’Ivoire connaît une crise pré-electotale, qui a fait d’ailleurs déjà plusieurs victimes à Abidjan et dans Plusieurs villes de l’intérieur, est- ce que vous comprenez la colère des anti-troisième mandat ?
Oui… Oui. Je la comprends et la partage. Je pense que l’un des problèmes politiques en Afrique, c’est qu’on écrit des textes sans y croire. On écrit dans la constitution que le nombre de mandats est limité à deux (02). Pourtant on veut faire un troisième mandat ? Il faut qu’on respecte ce qu’on écrit. Il faut qu’on respecte ce qu’on dit. Dès l’instant où, dans une société, les textes de lois et la constitution qui est la loi suprême…
On dit d’ailleurs que c’est la loi fondamentale.
…c’est la loi fondamentale. Les textes de lois qui régissent les rapports entre les citoyens, disent une chose, il faut qu’on s’y conforme. Et c’est en s’y conformant que la société est régulées de façon efficace. Si on écrit une chose et qu’on en fait une autre, on assiste à ce qui arrive en Côte d’Ivoire aujourd’hui.
La situation inflammable que connaît la Côte-d’Ivoire depuis le mois de juillet, vous préoccupe alors ?
Elle me préoccupe absolument. Et je voudrais dire qu’on a un remède à cela. Le remède, c’est la discussion. Il faut que les gens s’asseyant et qu’ils discutent.
Quand vous dites « les gens s’asseyent » vous pensez à qui ? Alassane Ouattara, Henry Konan Bédié, SORO Guillaume?
Aux hommes politiques en général. Je pense à ces trois là. Mais le champs politique s’est élargi depuis. Le champ politique s’est élargi. Mais depuis que Houphouët était président, parce que j’ai été le seul à être candidat contre Houphouët Boigny, j’ai été le seul en 90, mais je ne cessais de répéter: « asseyons nous et discutons ». Avec la discussion, la négociation on règle beaucoup de problèmes.
Mais monsieur le Président, est ce que tous les trois vous n’avez pas une part de responsabilité ? Parce que depuis 30 ans vous cristallisez la scène politique Ivoirienne à coup de désalliances et d’alliances. Est ce qu’aujourd’hui le temps n’est pas venu pour vous, tous les 3, de vous retirer et de passer la main à une nouvelle génération?
On ne règle pas les problèmes politiques comme ça. C’est anti démocratique d’ailleurs de céder, de régler… J’entends souvent dire, or ces trois là, ils faut qu’ils partent, il faut qu’ils quittent. Mais de GAULLE, il est resté combien de temps devant la scène politique ? De 1940 à 1969. Son départ de l’Élysée après la défaite du référendum qu’il avait initié. François Mitterrand il est resté combien de temps ? 14 ans à l’Elysée. Mais au devant de la scène politique François Mitterrand était ministre depuis les années 40, 50, puis il est passé dans l’opposition, puis il est devenu Président.
Mais comparaison n’est pas raison. La situation de la Côte d’Ivoire est particulière et vous le savez. Depuis 1999 date du premier coup d’Etat, tous les trois vous occupez la scène politique. Et aujourd’hui ce qu’on entend c’est que la jeunesse se dit que vous devez passer la mains à une nouvelle génératio
La jeunesse ne dit rien du tout (rires). Ce sont les autres qui parlent pour notre jeunesse. Mais je ne voudrais pas focaliser la discution sur ce sujet. Parce que, bon, moi j’ai été mis en prison un décennie et la vie a continué. Donc la vie peut continuer sans nous. Mais je veux dire que poser le problème en ces termes là, c’est encore tromper les Ivoiriens. En leur disant, si ces trois là s’en vont, tous les problèmes sont règlés. Or non.
Peut être pas tous les problèmes. Mais une grande partie des problèmes. Qu’est ce que vous proposez pour renouer les files du dialogue entre Alasane Ouattara et les principaux leaders de l’opposition dont vous faites partie ?
Il faut une auto-éducation. Il faut que les gens comprennent que dans la démocratie on se donne des règles. On n’est pas d’accord. Dans la démocratie d’abord on se rend compte qu’on est pas d’accord. C’est la première chose qui fonde la démocratie. On n’est pas d’accord. Mais on vit ensemble dans un pays.
En bonne intelligence?
Oui on doit vivre en bonne intelligence. On doit se donner des règles. On doit se donner des règles. Et une fois qu’on s’est donné des règles, il faut les respecter. C’est ça. Il faut les respecter. Si on ne peut pas respecter les deux mandats, qu’on ne l’écrive pas dans la constitution. Au temps d’Houphouet Boigny, il n’y avait pas de limitation de mandats.
C’était le parti unique aussi?
C’était le parti unique. Mais il n’y avait pas de limitation de mandats. Quand il n’y a pas de limitation de mandats. On s’attend à tout. La limitation de mandats n’est pas obligatoire. Mais moi je la souhaite. Mais une fois qu’on a limité les mandats dans la constitution, il faut qu’on respecte cette limitation.
Face à ce qu’elle appele la dérive du pouvoir, l’opposition ivoirienne fait bloc. Et elle appelé à la désobeïsance civile. Un mot d’ordre que Alassane Ouattara n’entend pas puisque ça ne l’a pas fait reculer. Et d’ailleurs ses partisans au RHDP disent le 31 Octobre, un coup Ko. Victoire au premier tour. Qu’est ce qui nous attend au lendemain du premier octobre ?
La catastrophe. Ce qui nous attend, c’est la catastrophe et c’est pourquoi je parle. Pour qu’on sache que j’ai parlé. Pour qu’on sache que je ne suis pas d’accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Pour qu’on sache que je dis qu’il y avait autre chose à faire. Il faut discuter.
Monsieur le Président cet entretien tire à sa fin, cela fait neuf ans que les Ivoiriens ne vous ont vu, ni entendu, qu’est ce que vous voulez leurs dire à la veille de cette date cruciale du 31 Octobre ?
Discutez ! Négociez ! Parlez ensemble !
Il est encore temps de la faire ?
Il est toujours temps de le faire. Il est toujours temps de le faire. Il est toujours temps de parler. Je voudrais dire aux ivoiriens que dans ce combat qui se mène aujourd’hui autour du troisième mandat, je suis moi Laurent GBAGBO ancien prisonnier de la CPI, je suis résolument du côté de l’opposition. Je dis vue mon esperience, il faut négocier.
Merci.