Les vagues de la victoire de Donald TRUMP aux Etats-Unis tanguent le monde politique depuis le mercredi 9 Novembre. Le phénomène ne fait qu’illustrer l’éclosion d’une graine qui couvait depuis un quart de siècle. On doit y voir la naissance d’une nouvelle ère politique qui va s’étendre sur la planète et durer dans le temps. Le public instruit et informé, qui cherchait à comprendre la politique contemporaine à ses racines, dénonçait depuis une génération la présence discrète d’une oligarchie égoïste et égocentrique qui gouverne la planète. Avec l’élection de TRUMP, cette oligarchie se mue dans un geste théâtral en une Ploutocratie. C’était un gène latent.
Qui est l’Oligarchie ?
Une oligarchie est une minorité au pouvoir, en général, et qui se rend service plus qu’il ne rend service au peuple. Dans sa composition, elle peut être hétéroclite ou homogène. Mais elle s’assemble toujours en un nombre très réduit d’acteurs car elle est très sélective et dispose cependant de moyens très puissants de domination, souvent néfaste sur la majorité démunie et faible.
Dans les particularités, l’oligarchie actuelle qui gouverne la planète est hétéroclite. Elle est formée de quatre engeances combinées en deux paires. La première paire est une élite de Libéro-technocrates composée d’économistes financiers et de juristes politologues, la deuxième paire est une élite de Ploutocrates composée de grands entrepreneurs marchands et d’investisseurs sans état d’âme. Le Ploutocrate est celui qui pèse sur le pouvoir politique par la seule puissance de sa richesse. Cette description de l’oligarchie actuelle est caricaturale, mais présente l’ossature de la réalité sous-jacente.
Par exemple Henry Kissinger, le couple Hillary et Bill Clinton, Dominique Strauss-Kahn, Bernard-Henri Léviy et Nicolas Sarkozy sont des Libéro-technocrates carriéristes tandis que Donald Trump ou Vincent Bolloré sont des ploutocrates mégalomanes.
Ils sont tous avides de succès matériel et de privilège social. Et, à cette fin, ils s’entraident résolument. Ils agissent mains dans la main et se font des arrangements pour se garantir les succès toujours grandissants.
Le règne continu de cette entraide serrée entre les Libéro-technocrates et les Ploutocrates est devenue exploiteuse sur la planète. Le public instruit et frustré a fini par la nommer l’Establishment Global.
Dans cet Establishment Global, la matière grise des carriéristes Libéro-technocrates concocte les plans et les stratégies politiques marchandes d’un côté et, de l’autre côté, la boulimie insatiable des Ploutocrates fournit les ressources et moyens d’exécution des plans et stratégies.
La récolte aisée des gros fruits mûrs de cette rapine marchande se fait par les ploutocrates qui, après la moisson, refilent une part consistante du butin aux Libéro-technocrates pour récompense du service rendu. Chacun y trouvait bien son compte.
Dans ce sens par exemple aux USA Donald Trump avait financé lui-même des plans d’action politiques de Hillary Cliton et de beaucoup d’autres politiciens américains. Des Emires du Quatar et de l’Arabie avaient aussi financé des Plans d’Action du couple Clinton. En France, tout le monde sait la connivence entre Vincent Bolloré et Nicolas Sarkozy. Dominique Straus Kahn, de son poste de directeur de la FMI à son statut de consultant, ne sert que le haut milieu de l’argent des puissants. Ce n’est là que la petite marge visible ou lisible du grand parchemin obscur. La zone cachée serait plus vaste.
Les rôles étaient bien partagés. Les Libéro-technocrates étaient les capitaines au gouvernail et les Ploutocrates étaient les commandants discrets à bord.
Mais avec l’élection à contre courant interne de TRUMP au sein de l’Establishment, le jeu va se modifier…en mal. Les ploutocrates enhardis seront très tentés de s’engouffrer avec délices dans la brèche globalement ouverte par Donald TRUMP pour écarter de plus en plus les Libero-technocrates et dominer seuls le jeu… pour peut-être un bon quart de siècle. La probabilité est très grande, rien ne semble pouvoir l’empêcher.
Sans trop attendre les conseils veloutés et diplomatiques des Libéro-technocrates, les Ploutocrates agiront directement sur les peuples en choisissant le langage de vérité crue et grotesque de la nature : les faibles, les médiocres, des étrangers, les saprophytes indésirables périront, la richesse régnera. Les Libéro-technocrates ne servaient qu’à adoucir cette vérité dans leur langage politique correct. Maintenant les ploutocrates avoueront cette vérité cruelle sans vergogne et sans complexe … en fermant la bouche aux Libéro-technocrates.
Les deux Sources de la Rupture
– Du côté privé, c’est par défi à soi-même que TRUMP, un symbole de la ploutocratie, s’est engagé en Politique. Il a fait des merveilles en affaires. Étant héritier plus ou moins confortable et initié assez tôt par son père, il a su édifier un empire immobilier et réussi d’autres investissements fructueux. Mais il n’est pas encore à satiété de son appétit d’entrepreneur talentueux et gagnant.
Son appétit est toujours grand et sa vision demeure astronomique. Alors il veut convertir son énergie d’insatiabilité personnelle en une fougue patriotique nationale. Pour preuve, Il a souvent dit et l’a encore répété dans son discours circonstanciel d’annonce de victoire « Je sais déceler les potentialités inexploitées dans les personnes et dans les situations, je sais m’en saisir et les développer au maximum. Je l’ai déjà fait un peu partout dans le monde. Je vais le faire maintenant pour notre pays.»
– Du côté collectif, l’idéologie patriotique de grandeur et de puissance a connu beaucoup de déboires extérieurs durant deux décennies. L’élan vers l’extérieur était parti pour annoncer la bonne nouvelle de la liberté pour les individus et de la démocratie pour les peuples ; la méthode hélas était beaucoup plus les bombes et les sanctions commerciales.
L’aventure est devenue une chaîne interminable de guerres (en Afghanistan, le 11 Septembre, en Irak, en Libye, en Syrie) au nom d’une idéologie noble mais avec des moyens de brutes. Ces guerres ne se sont jamais soldées avec une victoire finale et définitive. Depuis deux décennies, cette situation rongent l’orgueil d’une bonne partie des fanatiques nationalistes américains. Et ces déboires extérieurs sont attribués aux Libéro-technocrates qui semblent avoir monté de mauvais plans et stratégies qui ont échoué face aux promesses de faire rayonner la gloire internationale de la nation américaine à travers l’exportation de sa vision du monde. La déception est grande.
Alors Donald TRUMP, qui avait hésité pendant longtemps, s’est dressé avec fermeté comme la figure glorieuse qui va effacer ces affronts. Son mot de ralliement politique résume tout son programme: « Make America Great Again (Redonner à l’Amérique toute sa Grandeur) ».
Mais TRUMP ne promet pas d’aller vaincre les guerres à l’extérieur. Il veut plutôt engager une guerre intérieure. Il veut se retirer du théâtre international, se replier sur l’intérieur et consolider la gloire sur une réédification nationale monumentale et autocentrée – bref mettre en place un nouveau système d’Isolationnisme Laborieux. Il déclare : « …We gonna rebuild our infrastructure, which will become, by the way, second to none. And we will put millions of peole to work as we build it. » traduire « Nous allons reconstruire nos infrastructures, qui deviendront, de ce fait, secondes à nulles autres. Et en la reconstruisant, nous allons mettre des millions de gens au travail ».
Avec sa victoire à l’élection, il n’a que réussi la première étape de sa guerre intérieure, c’est-à-dire renvoyer les Libéro-technocrates à l’arrière-plan. Désormais la ploutocratie avance à visage découvert avec un casque de protection isolationniste sur la tête. C’est inquiétant pour les internationalistes libéraux.
Même de vieux Libéro-technocrates à la retraite comme Henry Kissinger le dénonce déjà. Avant hier Kissinger a déclaré sur BBC que « Trump ne pourra pas refaire l’histoire du monde ». Mais Kissinger semble voir faux, car Trump ne veut pas refaire le monde, il veut refaire seulement l’Amérique. C’est l’enjeu, et il est pugnace et autosuffisant dans son engagement.
La Mode sera Copiée
La prise du pouvoir par les ploutocrates n’est pas une nouveauté dans l’histoire contemporaine. Mais le cas de TRUMP s’est révélé spectaculaire à la face du monde avec un effet de choc car le pays d’où il agit est très puissant. Avant TRUMP, il y a eu récemment dans un pays modeste de l’Afrique de l’Ouest, le Bénin, une coalition de Plutocrates portée au pouvoir depuis peu et symbolisée par le Président Patrice Talon.
Dans le monde actuel, de plus en plus d’hommes d’affaires hyper riches, des milliardaires arrivent à surmonter leur complexe de demi-lettrés. Ils osent désormais affronter la réalité inconfortable de la vie publique des joutes oratoires et des débats contradictoires réservés jusqu’alors aux hauts diplômés et à quelques beaux parleurs naturels initiés aux rouages de la persuasion de masse.
Ceux qui ont voté pour TRUMP ou se sont abstenus de voter pour son adversaire en Amérique existent aussi dans d’autres démocraties. – Les citoyens de l’arrière-pays peu instruits ou peu imprégnés des questions de droits civils mais fort nationalistes et conservateurs, – les jeunes citadins instruits et disposant d’un esprit ouvert mais fatigués de la complicité infructueuse entre Libéro-technocrates et Ploutocrates, – les travailleurs dont les carrières stagnent ou sont menacées par les crises économiques répétitives imputées aux Libéro-technocrates sont nombreux dans d’autres pays. Et les ploutocrates dotés de charisme comme TRUMP les séduiront dans un discours de grandeur nationaliste et de promesse de richesse.
Dans la décennie à venir nous verrons en France un Ploutocrate très probable comme Vincent Bolloré monter directement aux créneaux politiques. Au Nigeria, en Afrique du Sud, au Mexique, au Brésil en Corée du Sud, en Inde, en Australie et partout ailleurs sur la planète où la démocratie et les élections crédibles sont plus ou moins en marche, les milliardaires Ploutocrates qui se sentent à l’étroit avec les Libéro-technocrates vont franchir le pas et prendre le devant. Mais tous ne pourront pas faire l’isolationnisme car cela aura besoin au préalable d’une base solide de capacités en technologie.
En conclusion nous dirons que la tendance est visible. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Car les ploutocrates qui auraient le profil caractériel de Donald TRUMP peuvent facilement basculer dans le fascisme. Ce sera alors une dérive de Ploutofascisme (je crée le mot).
En exemple, si par extraordinaire une puissance étrangère ou un mouvement rebelle international égratignait l’orgueil de l’Amérique durant le mandat de TRUMP, nous verrions que l’isolationnisme annoncé se transformera rapidement en un expansionnisme de colère et de réplique destructrice exportée vers l’ennemie, une guerre internationale. Le tempérament de TRUMP n’est pas celui d’un isolationniste calculateur et posé, placide et actif. Il est plutôt impulsif et très réactif.
Et la seule chance pour les peuples d’échapper aux Ploutocrates est de prendre en main leurs destins politiques en déboursant de l’argent pour leurs partis politiques ou leurs mouvements civils à travers les cotisations assidues. Or les masses sont actuellement rendues si pauvres et si individualistes dans la société de consommation au point où par rapport aux méga riches ils sont devenus des jouets malléables. Obama a pu échapper par exception à l’emprise totale de l’Establishment Global en fondant sa campagne en grande partie sur les dons minimes mais multipliés dans la masse enthousiasmée par son profil particulier. Ce défi est grand.
Michel KINVI
kinvimichel@yahoo.fr
New York, le 14 Novembre 2016
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