Nous savons tous, depuis longtemps, que ce régime, hérité par Faure Gnassingbe de son père, est un régime despotique…
Il est plus que temps de changer de méthode. Dodji Apévon a raison de le rappeler. Mais changer de méthode ne sera jamais possible, tant que les partis du courant majoritaire continueront de s’inscrire dans la logique de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir, ou à défaut, pour la première place.
Et dans cette logique-là, la concertation à laquelle le CAR appelle la classe politique togolaise, n’avancera pas plus la lutte d’opposition que ne l’ont fait le « conclave », la formation précipitée de la Coalition Arc-en-ciel, la bruyante création du CST… Il faut d’abord changer de logique.
Des « élections ratées »
Le catastrophique scrutin du 25 avril 2015 et les résultats proclamés à l’issue de la mascarade électorale, ont donné lieu à des déclarations souvent à l’emporte pièce. De ce point de vue, les propos du président du CAR face à la presse le 14 mai 2015, sont un exemple caricatural. Ces types de propos n’arrangent pas l’image de l’opposition togolaise.
Selon la presse, Dodji Apevon, qui désigne la mascarade électorale « d’élections ratées », voit dans ce « ratage » la conséquence de « deux pratiques pernicieuses ». D’abord, « la prise en otage du pays par le parti-État Unir … pour conserver le pouvoir en empêchant l’alternance ». Ensuite, « le maintien d’un courant politique d’inspiration marxiste, qui recourt à des manœuvres de blocage des réformes, au fanatisme, à l’intimidation par la violence, l’exploitation des instincts et de l’ignorance des masses populaires pour leur servir des contre-vérités ».
Nous sommes habitués aux « pratiques pernicieuses de l’Etat Unir ». D’ailleurs, pour être plus claire, disons pratiques du régime antidémocratique, au lieu de dire « État Unir ». Car, UNIR, qui est le parti du régime, n’est qu’un des instruments du régime comme la Cour constitutionnelle ou la HAAC… C’est le régime lui-même qui nous importe en réalité, et non son parti.
Nous connaissons tous, déjà depuis longtemps, les pratiques du régime. Nous savons tous, depuis longtemps, que ce régime, hérité par Faure Gnassingbe de son père, est un régime despotique, antidémocratique ; un régime d’oppression qui, de part sa nature, rend les conditions de vie difficiles pour la grande masse de la population, en entretenant celle-ci dans la misère. Et nous savons tous, depuis des années déjà, qu’il n’entend pas quitter le pouvoir, et qu’il fait donc tout pour s’y maintenir, y compris justement ces genres de mascarades électorales.
C’est parce que nous connaissons bien la nature du régime que, dès que nous en avons trouvé l’occasion, nous avons créé des partis politiques d’opposition comme instruments politiques, pour amener le peuple opprimé à s’organiser, afin de combattre ce régime avec plus d’efficacité, la finalité de ce combat populaire étant d’instaurer dans le pays un régime politique démocratique, pour permettre l’amélioration des conditions d’existence de la grande masse de la population.
Dans tous les cas, c’est l’objectif primordial de la CDPA-BT dès avant 1990. C’est pour cette raison que, quand le premier responsable du CAR avait écrit dans le préambule de l’APG avec la complicité de Bawara (et donc du régime), que la démocratie est instaurée au Togo, et qu’il ne reste plus qu’à la consolider, la CDPA-BT avait désavoué le propos en y voyant une manière de tromper la population, et une faute politique grave du CAR par rapport à l’objectif de la lutte d’opposition. « … la prise en otage du pays par le parti-État Unir… » n’aurait pas été possible, si l’Etat togolais était devenu un Etat démocratique.
Le vrai problème
Il s’agit donc de s’organiser pour combattre efficacement le régime despotique, et non de chercher chacun à se hisser à la place de celui qui le dirige, ou à collaborer avec lui d’une manière ou d’une autre. Combattre le régime avec efficacité exige que les partis d’opposition ne continuent plus de diviser l’opposition dans son ensemble, en se battant les uns contre les autres pour accéder au pouvoir ou, à défaut, pour la première place au sein de l’opposition, mais qu’ils s’obligent à faire une alliance solide et durable, pour pouvoir se donner une politique d’opposition qui tire sa force de frappe et sa cohérence de la force organisée de la masse de la population opprimée.
Ce qui pose réellement problème dans la déclaration d’Apevon, c’est quand il attribue la cause du «ratage» du scrutin au « maintien d’un courant politique d’inspiration marxiste », et aux pratiques politiques qu’il attribue à ce « courant ». On voit sans peine ceux que Dodji Apevon pointe du doigt par ses propos, et surtout le premier parmi eux, qui n’est autre que l’ANC.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les rapports quasi belliqueux incessamment entretenus par les deux partis, surtout depuis la création du CST en 2012. On a vu que ces rapports avaient pris une tournure pratiquement agressive depuis le « conclave » jusqu’à la veille du scrutin du 25 avril. Mais on sait aussi que cette rivalité atroce entre les dirigeants des deux formations remonte bien plus loin, à l’époque où Jean-Pierre Fabre et Patrick Lawson étaient les artisans de l’UFC au service de Gilchrist Olympio.
Depuis le début du combat en cours pour la fin de l’autocratie, les partis du courant majoritaire de l’opposition n’ont pas cessé de créer au sein de l’opposition des problèmes inutiles, qui empêchent la lutte d’opposition de gagner en cohérence et en efficacité. Ne parlons plus des « accords du 12 juin » en 1990. Avant même le début de la conférence nationale, le principe absurde, suivant lequel les partis d’opposition doivent rivaliser entre eux pour prendre le pouvoir à Eyadema, a poussé des partis de ce courant à nouer des relations avec des forces et des institutions étrangères, dans le seul but d’obtenir d’elles aide et accréditation, afin de mieux l’emporter chacun sur ses concurrents dans la compétition pour le pouvoir.
Le CAR et l’UTD (qui disparaîtra au profit de la CPP, Convergence Patriotique Panafricaine) vont ainsi s’afficher ostensiblement comme des partis « modérés », afin de s’attirer les bonnes grâces de partis de la droite française pour ce qui est de l’UTD, et pour le CAR, les partis de la droite allemande (le CDU notamment). Et avec cet opportunisme politique, ils n’arrêtaient pas de traiter avec mépris les autres partis d’opposition d’affreux « extrémistes », et de faire avec assiduité l’antichambre de certaines chancelleries étrangères à Lomé pour obtenir leurs faveurs.
De l’autre côté, la CDPA va s’inscrire dans l’Internationale socialiste pour les mêmes raisons, avec pour parrain la Fondation Jean Jaurès. Pour des raisons identiques, le Parti des Travailleurs avait jugé indispensable d’épandre ses convictions trotskystes sur la place publique, tandis que d’autres se proclamaient « sociaux-démocrates », ou se contentaient d’insérer le mot «socialiste» dans le sigle de leurs formations… Qu’avons-nous tiré de tout cela pour faire avancer la lutte d’opposition ? Rien. Absolument rien.
Des comportements politiques discutables
Que des partis politiques d’un pays nouent de saines relations avec des organisations étrangères, ou avec des partis étrangers sur la base de convictions idéologiques fortes, n’a rien d’anormal. Ce qui est discutable dans le cas spécifique des partis du courant majoritaire de l’opposition, c’est la forte tendance à l’utilisation de ces relations, juste comme de simples moyens pour mener la désastreuse compétition entre partis d’opposition pour la conquête du pouvoir.
Ce comportement politique est discutable. Pas seulement parce qu’il s’agit de pratiques politiques opportunistes au sens le plus détestable du terme, mais surtout parce qu’elles contribuent à accentuer inutilement les divisions et les affrontements inutiles au sein de l’ensemble de l’opposition, avec pour conséquence inévitable l’affaiblissement constante de celle-ci face au régime despotique.
Par quel tour de force Dodji Apévon a-t-il bien pu trouver un « courant d’inspiration marxiste » dans ce milieu ANC et ailleurs au sein du courant majoritaire de l’opposition ? Le fait que des fans du parti et de son chef citent à longueur de pages Marx ou Lénine, n’est tout de même pas une raison suffisante pour voir dans la politique d’opposition conduite par l’ANC, une politique « d’inspiration marxiste » ! Dans la phase présente de notre combat commun pour la démocratie au Togo, afficher chacun ses convictions idéologiques ostensiblement est-il une nécessité incontournable pour mener avec efficacité la lutte d’opposition ?
L’impératif d’une alliance politique
Ce que les résultats proclamés à l’issue de la mascarade du 25 avril imposent avec force à l’esprit est l’impératif pour l’opposition, de faire émerger d’elle une force unitaire capable de se donner une politique d’opposition cohérente, et capable de conduire cette politique avec la constance et la rigueur qu’impose une lutte d’opposition à un régime despotique. Ce n’est donc pas le moment d’ajouter la division à la division à travers une guerre idéologique inutile. Aussi, l’activation si brutale et si inattendue de la guerre idéologique par les dirigeants du CAR au lendemain de ce nouveau fiasco de l’opposition est-elle regrettable.
La politique d’opposition conduite par l’ANC depuis sa création est tout à fait exécrable. Elle ne l’est pas parce que Jean-Pierre Fabre et son équipe sont ce qu’ils sont. Elle l’est parce qu’elle est inscrite dans la logique de cette compétition agressive entre partis d’opposition pour le pouvoir. Dans cette logique-là, la fin justifie tous les moyens possibles. Y compris tous ceux attribués par Dodji Apévon au « courant d’inspiration marxiste » qu’il croit voir partout avec tant d’obsession.
Le successeur d’Agboyibo à la tête du CAR a certes raison de proclamer aujourd’hui « qu’il faut changer de méthode ». La CDPA-BT n’a pas cessé de le répéter depuis des années déjà. A chaque fois, on a rétorqué que les partis d’opposition qui utilisent les méthodes induites par le principe de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir, et qui font ainsi régresser l’opposition dans son ensemble « font au moins quelque chose » ! Comme si la lutte d’opposition consistait à « faire au moins quelque chose », juste pour s’afficher dans la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir ou la première place, et non pas ce qu’il faut pour créer réellement les conditions du changement.
Avec les 35% attribués à son candidat par la CENI du régime, l’ANC ne peut qu’accompagner le régime d’une façon ou d’une autre. Elle ne peut rien changer pour faire de l’Etat togolais, un Etat démocratique pour le mieux-être de la masse de la population. Mais la charge d’accusations portée par Dodji Apévon contre Jean-Pierre Fabre et ses amis, montre clairement que le CAR n’est pas sorti, lui non plus, de la logique de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir. On sent, derrière cette charge, la volonté de la direction du CAR d’exploiter la situation créée par la malencontreuse participation de son principal concurrent au scrutin au sein du courant majoritaire, pour l’enfoncer encore plus, et du même coup reprendre lui-même un peu d’air pour remonter en surface.
« …manœuvres de blocage des réformes, fanatisme, intimidation par la violence, exploitation des instincts et de l’ignorance des masses populaires pour leur servir des contre-vérités… » On comprend Dodji Apévon. Il n’est jamais agréable de se faire agresser pour ses convictions politiques, inutilement en plus. Les coups de point et les coups de gueule cadrent mal avec les valeurs et l’éthique démocratiques. Mais les virulentes accusations portées par le responsable du CAR traduisent en réalité la poursuite de la rivalité entre les deux partis pour la première place au sein de l’opposition.
C’est en ce sens que l’appel au changement de méthode et l’invitation de la classe politique à une « concertation », sont chargés d’ambigüités. Le CAR aussi doit changer de méthode. Comment pourrait-t-il le faire en restant ancré dans le principe de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir ou pour la première place au sein des partis d’opposition ? Et comment pourrait-il amener à la concertation, en jetant l’anathème sur certains de ses concurrents ? Le CAR veut-il réunir une nouvelle « Coalition Arc-en-ciel » autour de lui ? Pour faire les « réformes » dans la perspective de la « cogestion » ?
Se redire vaut mieux que se dédire
Les résultats proclamés à l’issue de la mascarade électorale confirment l’échec de la politique d’opposition imposée depuis des années à l’ensemble de l’opposition par des partis de son courant majoritaire. Tant que l’on n’acceptera pas de reconnaître ce fait, la CDPA-BT continuera de répéter inlassablement les mêmes choses dans le but de convaincre sur la nécessité d’une autre politique d’opposition.
En l’occurrence, elle continuera de dire :
1- que nous ne sortirons pas le pays de l’impasse, tant que les partis du courant majoritaire poursuivront leur fuite en avant dans la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir ou pour la première place.
2- qu’il faut sortir de la logique de la compétition, si l’on ne veut pas que le discours sur le « changement de méthode » reste un discours démagogique destiné à raviver les rivalités au sein du courant majoritaire.
3- il faut que des partis d’opposition acceptent de se mettre ensemble pour constituer une alliance politique durable, fondée sur un minimum de dénominateur commun, afin de pouvoir se donner une politique d’opposition qui tire sa force et sa cohérence de la force organisée de la masse des opposants. C’est dans ce sens que la CDPA-BT avait proposé, depuis des années, l’idée du MFAO (Mouvement de la Force Alternative d’Opposition).
Il est important de garder le cap sur l’objectif de la lutte d’opposition. Il ne s’agit pas que l’opposition se fasse donner un chef de file par le régime autocratique à travers des mascarades électorales. Il n’appartient pas au régime d’organiser l’opposition. Il revient aux partis et organisations de l’opposition de le faire par eux-mêmes. Et de le faire en redonnant à la masse des opposants la place historique qui leur revient dans la lutte pour la démocratie et le progrès. Ceux qui applaudissent en laissant croire qu’avec les 35% concédés à l’ANC par le régime, Fabre parviendra à réaliser le changement démocratique, se trompent et trompent.
Fait à Lomé le 1er Juin 2015
Pour la CDPA-BT
Son Premier Secrétaire.