Togo: le système Faure

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 La vraie force du système mis en place par Faure est donc cette capacité à orienter les électeurs soit vers l’abstention soit vers un vote pour le président

Le président togolais, Faure Gnassingbé, au palais présidentiel de Lomé, avant l’annonce de sa réélection pour un troisième mandat, le 28 avril 2015. 

Le président sortant Faure Gnassingbé a remporté l’élection présidentielle du 25 avril au Togo. Une victoire qu’il doit en grande partie à la toute-puissance d’un système politique qui neutralise toute forme d’opposition.

La scène se déroule chez un ami d’enfance du président Faure Gnassingbé. Dans une villa cossue du nord de Lomé, une dizaine d’amis sont réunis autour d’un joli buffet au bord d’une piscine. Il y a là des industriels, des militaires, des responsables politiques. Tous ou presque sont membres du parti au pouvoir, Unir (Union pour la République). La conversation tourne autour des résultats de l’élection présidentielle et de la victoire du président sortant. L’ambiance est détendue, l’humeur est gaie, le soulagement est palpable. Malgré le fait que le leader de l’opposition, Jean-Pierre Fabre, conteste les résultats sortis des urnes, nul ne semble trop s’en inquiéter.

Soudain, l’un des convives provoque un éclat de rire général en faisant remarquer que Jean-Pierre Fabre a manifestement choisi de ne pas lancer ses militants dans la rue. « Ce n’est pas lui qui tient la rue, c’est nous ! » rectifie l’un des invités. « C’est nous qui depuis des mois avons envoyé nos militants faire du porte-à-porte dans les quartiers de l’opposition. Nous avons tissé des liens, nous avons prôné le calme. Grâce à ce travail de fond, l’opposition n’a plus la possibilité de jeter les masses dans la rue ». Derrière la forfanterie des propos, il y a un constat : le régime de Faure Gnassingbé repose depuis dix ans sur un système puissant et sophistiqué de contrôle du corps social. Un système moderne et multidimensionnel qui utilise un mélange de ruse, de force, de clientélisme et d’influence.

Le matraquage de la communication

La plus visible de ces dimensions est sans conteste la communication. Nul ne saura jamais combien le président Faure a réellement dépensé pour sa communication de campagne, mais la capitale Lomé a littéralement été inondée d’affiches vantant les mérites du président et de sa politique. Une grande partie de la presse privée a relayé durant des mois les thèmes identifiés par des cabinets de communication souvent étrangers comme Havas. Le but était de présenter Faure Gnassingbé comme l’homme de la modernité et du changement, en rupture totale avec l’ère Eyadema, désormais identifiée à un passé presque honteux.

L’idée n’est pas tant de convaincre les irrédentistes de l’opposition – et ils sont nombreux dans le sud du Togo – que de montrer à la jeunesse que la génération actuellement au pouvoir est mieux à même de répondre aux défis de la modernité. Il n’est pas certain que cela fonctionne, mais le matraquage incessant à un autre effet, il rend quasiment inaudible les voix de l’opposition, et archaïse le discours de Jean-Pierre Fabre, souvent présenté par les thuriféraires du pouvoir comme arc-bouté sur une posture revancharde et intransigeante.

D’ailleurs, l’artifice de communication préféré de l’entourage présidentiel, souvent relayé par les chancelleries étrangères d’ailleurs, consiste à inverser les images. Jean-Pierre Fabre est dépeint comme un homme colérique, irascible et incapable de compromis, alors même qu’il subit depuis des années, ainsi que son parti, les assauts parfois violents du système. C’est ainsi qu’en janvier 2013, à quelques mois des législatives, de nombreux militants et quelques députés de l’opposition ont été arrêtés et inculpés dans l’incendie du marché de Lomé. Jean-Pierre Fabre lui-même a été inculpé avant que le principal accusateur ne se rétracte.

Cela met en lumière une dimension essentielle du système Faure Gnassingbé : la méfiance constante vis-à-vis de l’opposition conduit les héritiers du général Eyadema à la maintenir sous une contrainte multiforme qui va de la pression financière à la répression judiciaire.

Mais le pouvoir sait aussi parfaitement utiliser les appâts du prestige et de l’argent. Ainsi, Jean-Pierre Fabre s’est vu attribuer un statut de chef de file de l’opposition, au lendemain des législatives de 2013. Statut qui lui donne un rang protocolaire important et quelques avantages en nature. De plus, certains de ses adversaires d’hier ont été récupérés par la galaxie Faure et gravitent désormais comme Agbéyomé Kodjo autour du gouvernement, espérant y figurer à la faveur du remaniement ministériel qui se profile.

Un faible espace politique pour l’opposition

Globalement, face à la toute-puissance du système, les forces de l’opposition paraissent dérisoires. Les maires des communes et les conseils municipaux ayant été remplacés depuis 2001 par des délégations spéciales nommées par l’administration, les partis politiques n’ont pas la possibilité de se forger des relais locaux et des réseaux politiques. De plus, ils ne se frottent guère à la gestion des administrations locales et se retrouvent donc déconnectés des réalités du pouvoir. Ceci affaiblit considérablement des partis comme l’ANC (Alliance nationale pour le changement) de Jean Pierre-Fabre qui pourrait en cas d’élections locales remporter les communes de Lomé, son fief historique, et donc en tirer d’immenses bénéfices politiques. Le pouvoir a vu le danger et repousse sans cesse l’organisation des élections locales.

Lors des élections législatives de 2013, l’opposition a dû, là encore, se plier aux règles biaisées édictées par le gouvernement. Ainsi le découpage électoral a été taillé sur mesure pour permettre au parti présidentiel Unir de remporter la majorité. Les fiefs de l’opposition se sont vus attribuer moins de sièges de députés que les bastions du pouvoir. Un exemple, la région maritime qui pèse 42% de la population n’a que 29% des sièges de députés.

La sophistication des méthodes employées par le pouvoir n’a plus rien à voir avec l’ère Eyadema où la violence était souvent la seule réponse que recevaient les adversaires politiques. Le régime actuel a su policer ses méthodes et présenter un visage plus en accord avec les règles prônées par l’Union africaine et les bailleurs de fonds.

Aujourd’hui, le régime joue à la fois sur le cadre constitutionnel et l’environnement politique pour assurer la victoire de son candidat. Ainsi l’absence de réformes du mode de scrutin présidentiel, dont Jean-Pierre Fabre est en partie responsable pour avoir obstinément réclamé un codicille à la Constitution interdisant à Faure Gnassingbé de briguer un troisième mandat, fait perdurer cette anomalie qu’est le scrutin à un seul tour.

Sachant que le président sortant bénéficie à la fois de moyens financiers supérieurs à ceux de ses adversaires et peut compter sur l’appui d’une grande partie de l’appareil administratif, il s’assure donc dès avant même l’ouverture de la compétition d’un avantage sur ses adversaires. Ceux-ci lui ont certes facilité la tâche en s’entredéchirant, mais les divisions de l’opposition sont aussi le résultat d’une action de la majorité qui a par exemple réussi à ramener dans l’orbite présidentielle le chef de file de Obuts (organisation pour bâtir dans l’unité un Togo solidaire), Agbéyomé Kodjo.

Des électeurs résignés

La société civile togolaise, très puissante en 2012 n’est aujourd’hui plus que l’ombre d’elle-même, divisée entre tendances devenues hostiles, et dont certaines figures ont, elles aussi, rallié le régime. Ce qui semblait constituer une force importante lors des grandes manifestations de 2012 a quasiment disparu de la scène socio politique en 2015. Le lien entre société civile et syndicats ne fonctionne pas. Du coup, les grandes grèves de la fonction publique du début d’année n’ont pas été relayées par le mouvement social. Le pouvoir a eu vite fait d’isoler les revendications catégorielles de la Synergie des syndicats du Togo et de les présenter à l’opinion comme les revendications d’une poignée de privilégiés.

Avec une société civile amorphe, une opposition affaiblie, un mode de scrutin favorable et un contrôle de l’administration, le pouvoir en place abordait donc cette élection avec un certain optimisme. La résignation des électeurs togolais a fait le reste. Car avec 47% d’abstention environ dans le sud du pays et notamment le Grand Lomé, régions favorables à Jean-Pierre Fabre, la tâche de l’opposant devenait impossible. L’ampleur de cette abstention a d’ailleurs surpris jusqu’à la présidence, selon les confidences d’un proche collaborateur du chef de l’Etat.

C’est cette résignation face à un système bien en place, puissant et parfaitement rodé qui constitue la véritable source de l’échec du candidat de CAP 2015 et à contrario la raison première de la victoire de son adversaire. Dans la région maritime, la lassitude et le « à quoi bon voter » sont les sentiments les plus partagés par les électeurs. L’autre réflexion que l’on entend dans la bouche des habitants de Lomé c’est la peur d’une réédition des violences de 2005, où la présidentielle a coûté la vie au bas mot à 500 personnes.

Cette peur des violences et cette résignation face à un scrutin qui pour beaucoup semblait joué d’avance sont les résultats de l’action du régime et de son vecteur politique, le parti Unir, héritier du RPT (Rassemblement du peuple togolais) de Gnassingbé Eyadema. La vraie force du système mis en place par Faure est donc cette capacité à orienter les électeurs soit vers l’abstention soit vers un vote pour le président. Mais c’est aussi sans doute un constat terrible pour la classe politique togolaise. Car dans un système verrouillé de la base au sommet, la désaffection des électeurs pour les urnes est un signal d’alarme que personne, à commencer par les pays voisins et les partenaires traditionnels comme la France, ne devrait prendre à la légère.

Olivier Rogez
 

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