L’histoire se répétera donc au Togo. Pourtant, nul n’ignore toute la souffrance que ce peuple a endurée, durant les trente-huit ans de règne de Eyadema-Père, sur fond de division tribale
L’opposition togolaise se prépare à aller à la présidentielle de mi-avril prochain, sans avoir obtenu les réformes institutionnelles et constitutionnelles pour lesquelles elle s’est battue et pour lesquelles aussi le président Faure avait pris des engagements depuis 2006, au lendemain des violences qui avaient suivi son accession au pouvoir. L’on se rappelle que ces réformes dont les principales concernent la limitation du nombre de mandats ainsi que le mode de scrutin à deux tours, avaient cristallisé les passions et amené l’opposition à appeler plusieurs fois ses militants à descendre dans la rue. Mais à la veille de la présidentielle de 2015, Faure Gnassingbé, en digne successeur de son père qui aura passé trente-huit ans à la tête de l’Etat, n’a pas cédé d’un iota, mettant l’opposition dans un dilemme profond, entre partisans du boycott et ceux qui pensent qu’il faut y aller quand même. D’autant que les dispositions de la loi fondamentale togolaise actuelles permettent à l’actuel locataire du palais de la Marina d’être légalement sur la ligne de départ, après dix ans de règne soit deux mandats consécutifs. Finalement, à la date de clôture du dépôt des candidatures, le 1er mars dernier, cinq dossiers étaient enregistrés, dont celui du président sortant Faure Gnassingbé et ceux de quatre opposants.
Mais ce qui est le plus étonnant dans l’attitude de l’opposition togolaise, c’est moins le choix d’aller à cette élection que la façon d’y aller, c’est-à-dire en rangs dispersés. La politique de la chaise vide ayant, par le passé, plusieurs fois montré ses limites, l’on peut comprendre ce choix de ne pas laisser le champ complètement libre à Faure Gnassingbé. Toutefois, ce qui est regrettable, c’est que l’opposition togolaise n’est pas restée cohérente jusqu’au bout, en ne faisant pas bloc derrière une candidature unique, pour espérer obtenir le changement tant recherché, afin d’engager toutes ces réformes que le pouvoir en place refuse d’opérer depuis tant d’années, parce qu’il y trouve son compte.
Il ne reste plus que la société civile comme seul espoir des Togolais
Aussi, dans ce scrutin à un tour, ni Jean-Pierre Fabre du Combat pour l’alternance politique en 2015 (CAP 2015), ni Aimé Gogue de l’Alliance des démocrates pour un développement intégral (ADDI) encore moins Komandega TAAMA du Nouvel engagement togolais (NET) et Mohamed Tchassona Traoré du Mouvement citoyen pour la démocratie (MCD), ne sont en mesure de battre le candidat sortant de l’Union pour la république (UNIR), au cas où toutes ces cinq candidatures officielles venaient à être validées. Au pire des cas, le futur président togolais pourrait être élu avec 21% des suffrages, si le scrutin venait à être serré. Or, tout porte à croire que ce ne sera pas le cas. Faure est conscient qu’il a les moyens et les meilleurs atouts pour remporter largement cette présidentielle, sans aucune difficulté. Tout comme ses adversaires sont conscients qu’en allant en rangs dispersés et en émiettant leurs voix, ils n’ont aucune chance de l’emporter, surtout qu’il n’y a pas de second tour pour espérer nouer des alliances.
Que retenir alors si ce n’est qu’ils ont décidé d’accompagner Faure qui se sent plus fort que jamais, à l’idée de ne pas faire cavalier seul dans cette élection et qui a là une occasion de sauver les apparences d’une démocratie pourtant en trompe-l’œil ? La seule bataille qui valait la peine d’être menée, c’était de s’unir. Mais en échouant à fédérer les énergies, l’opposition ouvre un boulevard à Faure pour se succéder à lui-même. En même temps, elle renvoie une image pitoyable d’elle, parce qu’elle n’aura pas su se mettre au dessus des intérêts égoïstes, pour se donner de réelles chances de succès dans sa lutte pour l’alternance. A ce rythme, l’on risque de ne même plus la prendre au sérieux. Pourtant, du Sénégal au Burkina en passant par d’autres pays, ce ne sont pas les exemples d’union qui manquent sur le continent, et qui ont fait la preuve de leur efficacité pour mettre fin aux velléités monarchiques de bien des dictateurs qui se croyaient une destinée messianique. Une chose est sûre, tant qu’ils seront aux affaires, ces dirigeants ne feront rien qui aille à l’encontre de leurs intérêts personnels.
L’histoire se répétera donc au Togo. Pourtant, nul n’ignore toute la souffrance que ce peuple a endurée, durant les trente-huit ans de règne de Eyadema-Père, sur fond de division tribale. Après les dix ans de mandats de Faure, l’opposition togolaise manque une occasion historique de se faire valoir. Elle donne plutôt l’impression de bien s’accommoder de son image de faire-valoir pour donner plus de légitimité à l’actuel pouvoir togolais. Désormais, il ne reste plus que la société civile comme seul espoir des Togolais, dans leur combat pour l’alternance.
Au-delà d’elle, il est temps que l’Union africaine ait pitié des populations et marque véritablement son attachement à la paix et à la stabilité du continent, en mettant un point d’honneur à inscrire dans sa charte, une clause limitative des mandats présidentiels pour favoriser l’alternance et partant, la bonne gouvernance et la cohésion nationale. Car, quand on sait que l’on devra, dans un temps limité, laisser la place, l’on fait plus attention aux actes que l’on pose, pour ne pas traîner des casseroles.
Outélé KEITA
Le Pays