À quoi a servi la manifestation organisée par le CAP 2015 le 21 Octobre dernier? À rééditer ce qui apparait souvent comme un défoulement collectif, à exprimer une colère molle qui ne peut que tomber dans des oreilles de sourds ?
Il est inconcevable d’imaginer le Togo sans la République, sans les instruments légaux qui favorisent un fonctionnement démocratique de son système électoral. Autant, il est inconcevable d’imaginer qu’en 2015 une élection puisse se tenir sans de vraies réformes – et non des réformettes – susceptibles de mettre un point final au pouvoir personnalisé et l’usage des méthodes brutales qui le caractérise. Le CAP 2015 peut-il conduire le peuple à éteindre les flammes du « système RPT » qui prolifèrent comme un cancer galopant ?
Clamer que c’est hallucinant, c’est peu dire, affirmer que c’est incompréhensible et franchement ubuesque, c’est rester bien en deçà de la réalité. Alors que la patrie sombre progressivement dans une aphasie anesthésiante et qu’aucune turpitude ou scandale n’ébranle ses dirigeants, l’opposition qui est supposée porter l’espoir du changement reste confondue, harcelée dans ses derniers bastions par ses faux calculs. La rencontre que son « chef de file » vient d’avoir avec « monsieur le président de la république » montre à quel point cette opposition s’est laissé réduire au rôle humiliant de figurant, combien elle est devenue la principale source de légitimité d’un régime voyou qui a démontré à mainte reprises qu’il ne peut pas se réformer de lui-même.
Le candidat unique que l’opposition s’est choisie, non sans toutes les peines du monde, a de fortes chances d’être malmené dans une campagne inégale pour ne devenir, à la fin, qu’un candidat au rabais livré pieds et mains liés sous l’étrangleur de Taffa Issifou Tabiou chargé de manœuvrer la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), un véritable abattoir d’où le RPT/UNIR tient chaque fois ses victoires. Le déséquilibre est abyssal. J.-P. Fabre, davantage, l’a approfondi en se mettant en position de demandeur d’audience auprès du palais. L’ordre normal des choses, en politique, ne voudrait-il pas que ce soit Faure qui négocie en urgence cette rencontre parce que la pression de la rue menace son fauteuil ? Qu’est-ce qui constituait l’arme coercitive derrière la délégation que conduisait Fabre à la présidence et qui pouvait obliger le maître des lieux à prendre des décisions immédiates qui convenaient exactement à la situation? Rien ! Pas en tout cas les militants du CAP 2015 qui s’étaient fait matraquer la veille sans être parvenus à toucher un seul des symboles du système. Voilà la réalité, mais personne ne semble en mesure d’en tirer les conclusions, personne ne se décide à remettre en question les anciennes certitudes, les convictions erronées.
Quand les électeurs vont voter pour la pure forme, quand les citoyens semblent n’avoir de choix qu’entre la dictature et le chaos, c’est dans la rue que les choses auraient pu être tranchées, pour rétablir le parcours normal de l’État de droit ou obtenir la capitulation du régime de prédation. Le Burkina l’a démontré de façon éclatante ! C’est sans doute parce que l’opposition togolaise est profondément engluée dans ses contradictions qu’elle éprouve tant de peines. C’est parce qu’elle minimise trop souvent l’ampleur des manœuvres dilatoires du régime que la citoyenneté est prise en otage, laissant la place à des associations bidons du RPT, une « Panurgie » constituée de bric et de broc, d’occuper le terrain pour imposer la volonté du monarque. Vendredi, on a vu cette galerie de besogneux convoyés par camions à bétail entiers danser et applaudir à tout rompre dans Lomé parce que ces pauvres trouvent à leurs gourous aux commandes de l’état toutes les raisons justifiant les obstructions qui font de la république une dynastie. Pour ces oisifs, c’est Faure ou rien. Il n’y a que lui pour diriger le Togo, au nom de son nom. En d’autres temps, en d’autres lieux, la révolte populaire aurait fortement grondé, les citoyens auraient massivement pris toute l’affaire en main pour obtenir le départ des incapables de tous les bords, pouvoir et opposition confondus, et forcer une renaissance de l’état togolais.
À quoi a servi la manifestation organisée par le CAP 2015 le 21 Octobre dernier? À rééditer ce qui apparait souvent comme un défoulement collectif, à exprimer une colère molle qui ne peut que tomber dans des oreilles de sourds ? Allons-nous assister dans les jours à venir à des rassemblements qui iront chuter au beau milieu de nulle part ? Vendredi dernier aurait pu être un jour historique, un jour qui aurait fait bouger les lignes, comme ce fut le cas, le 21 novembre 1966, quand une insurrection populaire avait fait trembler la terre à Lomé jusqu’au palais présidentiel de Nicolas Grunitzky. Si on se met d’accord que la date du vendredi 21 novembre 2014 n’a pas tenu toutes ses promesses, on doit conséquemment accepter que la démarche de Fabre d’aller voir Faure était prématurée, inopportune et finalement immature. Pour preuve, deux fois il s’est rendu chez son adversaire, deux fois il s’est fait ridiculiser avec la même réponse moqueuse, la même incongruité indigne d’un chef d’état qui se veut rassembleur, réformateur. En bon usurpateur, toujours suffisant et imbu de sa personne faute de rapport de force, c’est avec un air conquérant qu’il lui a montré le chemin de l’assemblée nationale dans laquelle l’opposant infortuné est minoritaire.
Présenter un candidat de l’opposition à cette élection qui échappe totalement au contrôle d’une république préalablement réformée est un pur leurre, une dépravation pure et simple de la lutte contre la dynastie. C’est aussi envoyer des signaux contradictoires au peuple, offrant par la même occasion une magie détestable. Car, nul n’a besoin d’un méticuleux art de calcul ou d’une révélation divine pour statuer que l’opposition ira mordre la poussière, candidat unique ou pas, si elle se présente à ce scrutin dont les instruments de régulation sont les mêmes qui avaient été utilisés en 2005 et en 2010 avec les résultats qu’on connaît. L’opposition togolaise a beaucoup plus besoin d’un travail de réflexions et d’analyses approfondies, de comment faire plier l’échine au pouvoir sur la question non-négociable des réformes qu’elle n’a besoin de s’engouffrer dans une compétition qui s’annonce pour elle comme un véritable parcours du combattant.
Le pouvoir de Faure Gnassingbé a commencé par un gâchis, il se poursuit par des gâchis. Ses deux mandats ont commencé, chacun, avec des promesses véhémentes, ils se poursuivent avec de vibrants mensonges. UNIR qui a été créé pour dissiper les souillures nauséabondes du RPT en poursuit plutôt les cruelles pratiques. C’est un parti est indécrottable. Ses intrigues actuelles, ses meurtres et complots, ont un dénominateur commun : maintenir le pouvoir dans sa forme dynastique. Ce constat n’échappe à personne. Si malgré cela, l’opposition, elle, se maintient dans sa dynamique participative, sans les réformes, ces militants n’auront, demain, qu’à se contenter du seul droit que le prince leur garantit, celui de rêver. Quant au peuple, lui qui est aussi privé de tous les droits, il ne lui restera que celui de fantasmer, de déprimer.
Kodjo Epou
Washington DC
USA