C’est une bonne blague ! Je regrette profondément que l’on joue la comédie de cette façon en politique en Afrique. Des individus qui n’arrivent pas à régler des problèmes similaires dans leur propre maison et qui vont « médiater » ceux des autres, ça me laisse ébaubi !
Lynx.info : Charles Debbasch (conseiller de Faure Gnassingbé) avertit les Togolais dans un article « L’élection présidentielle de 2015 aura lieu dans le cadre prévu par la constitution : une élection à un tour ouverte à tous les candidats qui remplissent les conditions prévues par la constitution ».
Comi Toulabor : Charles Debbasch est le père de la constitution dont il parle, celle de 2002. On se rappelle comment il est intervenu nuitamment à l’Assemblée nationale d’alors pour obtenir sous une menace feinte le vote des députés RPT, lesquels ont avalé leur dignité. J’ai toujours considéré que Charles Debbasch est un espion travaillant pour les intérêts de son pays, secondé par une nuée de conseillers et de sorciers étrangers grassement rémunérés. Il a la charge éminente de mettre en ordre juridique les turpitudes du pouvoir. Les partis d’opposition de leur côté ont tacitement aussi validé la constitution debbachiste dont ils ont rarement et sans conviction réclamé l’abrogation. Le pouvoir fatigue les partis d’opposition qui à leur tour fatiguent la population, éternelle partie de ping pong où la balle est justement la population, qui n’est plus dupe du jeu et se mobilise de moins en moins !
Le 3 février 2010 au micro du confrère « Jeune Afrique », Faure disait que le scrutin à un tour réduit la période des tensions et le coût. Le trouvez-vous-réaliste dans ces propos ?
Il est réaliste façon RPT/UNIR ! Sa logique tirée jusqu’au bout revient à dire qu’il faut arrêter d’organiser des élections en Afrique, que le continent n’est pas encore mûr, et patati et patata. Si la corruption et les détournements de fonds sont plus coûteux encore, et il faut commencer par les supprimer, puisqu’ils sont bel et bien inscrits entre les pleins et les déliés dans les lignes camouflées du budget de l’État. Faure contrôlant la totalité du pouvoir, s’il estime que les élections sont tensiogènes et coûteuses, il ne lui reste qu’à les embastiller, comme il a pu le faire avec son frère Kpatcha et son ancien serviteur, le zélé Bodjona ? De qui attend-il l’injonction? Debbasch ? Hollande ? L’armée ? Le réalisme de Faure est en cohérence avec l’idéologie de son parti et les non-dits de ses pairs françafricains qui aimeraient bien être soulagés de cette corvée post-guerre froide : le devoir d’organiser périodiquement des élections free and fair. Les propos de Faure ne traduiraient-ils pas de façon subliminale ce refus d’élections ? Et les élections frauduleuses sont aussi une forme de refus. Sa position ressemble de beaucoup à celle de son père qui ne voulait point entendre parler de multipartisme avant que la rue lui adresse le carton rouge en 90.
Pour avoir modifié la constitution en 2002, le Togo devient le seul pays de la l’Afrique de l’ouest où le président peut diriger à vie. Comment expliquez-vous que les Togolais ne soient pas encore dans les rues pour crier leur raz- le-bol ?
Effectivement le Togo est le seul pays de la sous-région où le président peut rester à vie au pouvoir en se fondant sur la loi fondamentale de 2002. Rappelons que lorsque Eyadéma modifia la constitution (en fait, il a fait changer le Togo de constitution au regard du nombre important d’articles supprimés/substitués ou profondément réécrits !), les partis d’opposition et surtout l’UFC et son leader Gilchrist Olympio n’ont pas cru bon mobiliser la population dans la rue pour deux raisons. D’une part, pour les acteurs politiques, l’architecture juridique et institutionnelle est un objet trop abstrait et compliqué pour qu’on y intéresse le peuple illettré ou analphabète. D’autre part, le mâle dominant de l’opposition, Gilchrist Olympio, a toujours soutenu qu’il gagnerait haut les mains toute élection quelles que soient les conditions juridiques et légales de son organisation. Ces idées paresseuses et aventureuses se sont insidieusement imposées dont les populations sont aujourd’hui les victimes. S’illusionnent ceux qui entretiennent l’espoir actif ou passif de voir la révolte burkinabè s’exporter au Togo. Si le régime Compaoré ressemble à celui du Togo dans ses lignes de force avec l’armée comme mur porteur, il y a des spécificités liées à l’histoire et à la culture politiques qui font la différence. Par exemple, les organisations de la société civile (OSC) sont nettement plus fortes et mieux structurées au Burkina Faso qu’au Togo. Il est difficile de voir naître au Togo à l’heure actuelle un mouvement tel que « Balai citoyen » qui a sonné le tocsin contre la révision de l’article 37 de la constitution initiée par Compaoré. Les partis politiques au Togo ont trop tendance à percevoir les OSC, surtout si elles sont autonomes, comme de dangereux concurrents ou rivaux et non comme des acteurs dont l’action pourrait apporter aussi de la valeur ajoutée à la lutte démocratique. C’est le mouvement « Balai citoyen » qui a nettoyé Blaise Comparoré, pas les partis politiques, lesquels ont accepté l’apport de la société civile comme allant de soi. Au Togo, les questions seraient d’abord : « Qui est derrière le Balai ? », « Quelle main tient le Balai ? », « Qui finance le Balai ?», etc. Et l’on va inventer mille et une histoires pour le discréditer et lui briser le manche pour de bon. Autrement dit, il y a trop de méfiance, trop de soupçon, trop d’intentions très peu désintéressées, trop de coups tordus entre les différents acteurs pour voir émerger, ici et maintenant où nous parlons, dans les rue du Togo une mobilisation d’ampleur à même d’emporter le régime qui doit se frotter les mains.
Vous avez espoir que la révolution Burkinabè ait des retombées positives sur le Togo dirigé d’abord par Gnassingbé père et ensuite le fils ?
On ne peut que le souhaiter. Il revient aux partis d’opposition qui aspirent à la conquête du Graal d’analyser objectivement ce qui vient de se passer à leur porte et d’en tirer les leçons qui s’imposent dans le sens mélioratif de leur combat. Ce qui constituerait déjà une première retombée énorme. Les Togolais seraient-ils plus bêtes que les Burkinabé ? Sûrement pas. Mais ce travail d’analyse et de réflexion intellectuelle, qui manque tant à la lutte, est malheureusement vilipendé et moqué. Au Togo l’intellectuel est assimilé au Professeur Tournesol, à un hurluberlu, un taré profond, alors que les contempteurs peuvent aisément être classés eux aussi parmi les intellectuels. Cette haine ou ce complexe vis-à-vis de ce qui est intellectuel porte un grand tort au combat qui ne peut pas s’affranchir de la dimension intellectuelle. Les événements du Burkina invitent les acteurs politiques togolais à la réflexion intellectuelle préalable à toute action surtout collective.
Toujours au micro de nos confrères de « Jeune Afrique » en 2010, Faure reconnaissait que la revendication de l’opposition sur les reformes était normale mais que le temps faisait défaut. Comment expliquez-vous aujourd’hui et à un an des élections qu’il trouve que c’est aux députés de trancher ?
On l’a dit et redit : Faure, comme son père avant lui, n’entreprendra aucune action réformatrice susceptible de mettre en danger son pouvoir. L‘Accord politique global (APG) signé à Ouagadougou date d’août 2006 qui acte des réformes constitutionnelles et institutionnelles quand Faure venait d’accéder à la fonction de chef de l’État dans les conditions mortifères que l’on sait. Donc pendant huit ans, le temps lui a fait défaut pour implanter celles-ci. Il faut être de mauvaise foi, en ignorant ce qu’il avait signé ou alors le Togo est entre les mains d’un somnambule redoutable ! Les députés RPT/UNIR ont tranché en renvoyant les réformes aux calendes grecques, et donc Faure et son gouvernement dans les cordes. Et le désaveu des députés n’a entraîné aucune conséquence pour l’Exécutif : c’est extraordinaire ! Cela revient à dire que les institutions ne servent strictement à rien et n’ont aucun sens. Le problème ne situe plus seulement au niveau politique stricto sensu, il est plus profond et interroge la morale et l’éthique des élites au pouvoir. Une institution n’a de sens que par rapport aux acteurs chargés de la faire fonctionner. Le président du Conseil constitutionnel n’honore pas sa fonction quand je l’entends parler, et il en est ainsi tout le long de la chaîne de commandement de l’État, ce depuis au moins avec le RPT. C’est vous dire la prégnance de cette culture désastreuse de l’institution dans notre pays, au point qu’il sera difficile d’éradiquer du jour au lendemain. D’autant que les mâles dominants de l’opposition aussi ne rassurent point en termes de refondation et de la dynamique de la vie des institutions.
Vous avez été l’un des rares intellectuels à avertir par interviews et articles interposés que Gilchrist Olympio était un pion du pouvoir. Le rôle actuel de Me Yaovi Agboyibor ne va pas dans le même sens…
J’espère que vous ne prenez pas le mot « intellectuel » au sens togolais ! Je plaisante. Laissons Gilchrist Olympio mourir de sa propre mort. Il n’aura mérité ni de son père ni des Togolais. Mais demain l’Histoire nous resituera sa véritable dimension. Eh oui, les méandres très sinueux de Me Yaovi Agboyibor me laissent songeur. Auto-proclamé président d’honneur de son parti, le CAR, en 2008, il ne veut pas prendre sa retraite politique et continue d’empoisonner la vie de son successeur Me Dodji Apevon. Au point qu’il est en train de s’« olympioniser » sans s’en rendre compte, persuadé d’être, lui aussi, le messie que les Togolais attendent. Il ne s’est toujours pas remis du fait que Gilchrist Olympio lui ait ravi la palme d’« opposant historique » dans les années 1990. Au défaut d’être le Moïse conduisant le peuple togolais vers la terre promise, il a pris la primature au lendemain de la signature de l’APG, content ainsi de sa revanche sur Edem Kodjo. La désignation de Jean-Pierre Fabre comme « candidat unique de l’opposition » pour la présidentielle de 2015 a échaudé le vieux Bélier-noir. Lequel a toujours ruminé dans son rumen plus d’un tour à la veille des échéances présidentielles. Il est soupçonné de se porter candidat pour 2015, mais il reste très évasif sur la question. Connaissant sa détestation pour les « Anéchochiens », rien ne l’empêche de faire un deal électoral avec Faure contre Fabre (qui n’est pas d’Anécho, mais peu importe !), et accéder de nouveau à la primature. Ce faisant, il bafoue l’autorité de Me Apevon sur le CAR, mais de cela il n’en a cure. Se retrouver dans le lit de Faure, quoi de plus jouissif quand on sait que cela donne accès à la grosse Mercedes Benz de fonction et aux privilèges matériels et symboliques qui vont avec !
Faure Gnassingbé, médiateur de la crise au Burkina-Faso quelle lecture fait le politologue Comi Toulabor ?
C’est une bonne blague ! Je regrette profondément que l’on joue la comédie de cette façon en politique en Afrique. Des individus qui n’arrivent pas à régler des problèmes similaires dans leur propre maison et qui vont « médiater » ceux des autres, ça me laisse ébaubi ! Faure est dans la dynamique des médiations africaines qui consistent non point à résoudre un conflit mais à médiatiser le « médiateur ». Il est à la bonne école de son père et de ses mentors françafricains. Si dans cinq-dix ans, un comité françafricain ne le propose pas au prix Nobel de la paix, il risque de déprimer fort comme son père, qui ne voyant venir aucun prix de ce genre, finit par accuser les Occidentaux de racisme !
Bordeaux, le 17 novembre 2014
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info